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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/709

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puise aussi ses inspirations ? Et je voudrais bien que l’on me fît voir en quoi le vaudeville lui-même diffère si profondément de la « chansonnette excentrique » et de la « fantaisie bouffe : » les Statues en goguette ou la Grosse Caisse sentimentale ? Ce qui est certain, c’est qu’il n’y a pas de soirée de café-concert sans une opérette ou un vaudeville qui la termine ; et ce vaudeville est des maîtres du genre, — en ce moment même de feu Varin à la Pépinière et de M. Labiche au café de l’Époque ; — et quand, après être tombée sur les Jumeaux de P.-L.-M. ou sur la Rosière de Fouilly-les-Patates, la toile se relève sur le Secrétaire de Madame ou sur les Ressources de Jonathas, personne dans la salle ne s’aperçoit un instant qu’il ait changé d’atmosphère. Elle se relèverait sur Edgar et sa Bonne ou sur la Fille mal gardée que ce serait encore la même chose :


Quand je parais avec ma mèche
Au milieu d’un timide essaim,
Soudain le cœur le plus revêche
Mollit à son chic assassin !
De Cupidon elle est la flèche,
Elle est l’hameçon des amours…
Et j’entends redire toujours :
« D’ lui résister il n’y a pas mèche !
Gredin’ de mèche !
Mais voyez donc comme ell’ lui va !
Qu’il est bien, ce scélérat-là !
Ah ! qu’il est bien, ce scélérat-là !
Fichtre ! qu’il est bien, ce gueux-là !»


C’est qu’en réalité tout cela procède bien de la même origine, s’inspire bien des mêmes sources et s’adresse bien surtout aux mêmes instincts. Vaudevilles, opérettes ou chansons, autant d’expressions et de satisfactions que l’on donne au vieil esprit gaulois, c’est-à-dire cet esprit d’optimisme vulgaire, de raillerie libertine, et de polissonnerie prétentieuse, qui bien décidément tient au fond de l’esprit français, s[ peut-être il n’est ce fond lui-même. Car aussi loin que vous remontiez dans notre histoire littéraire, c’est lui qui respire dans ces vieux fabliaux, dont je ne pourrais seulement transcrire ici ni nulle part les titres et encore moins raconter les sujets. Mais quelque effort que depuis trois ou quatre cents ans nos plus grands écrivains aient tenté pour nous relever de cette bassesse, il fallait bien qu’il n’y eût pas de remède puisqu’il n’y ont pas réussi. Nous nous étions reconnus tout d’abord dans le miroir que nous présentaient nos trouvères, et c’est la même image de nous-mêmes que nous applaudissons dans les chansons de café-concert. Il y aurait de quoi parler longtemps sur ce thème, si l’on voulait. Non pas que nous soyons les seuls qui aiment la gaudriole, ou du moins je veux le