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pas fait ; ils ont hésité, un peu par inertie sans doute, ou parce qu’ils n’étaient pas prêts, un peu aussi peut-être par une prudente modération, et un changement ministériel qui vient de s’accomplir à Constantinople, qui appelle dans les conseils de la Porte un nouveau ministre des affaires étrangères, semblerait indiquer de la part du sultan l’intention de ne rien brusquer, d’agir d’accord avec les puissances. C’est donc l’Europe qui entre en scène comme un arbitre supérieur de cette situation nouvelle, et à vrai dire le problème n’en est pas simplifié ; il reste au contraire d’autant plus complexe, qu’entre des puissances comme la Russie et l’Autriche les vues ne peuvent évidemment être les mêmes dans les affaires d’Orient, même avec M. de Bismarck pour les mettre d’accord. On se tirera encore une fois d’embarras par une conférence, on le dit maintenant. C’est le remède à tous les maux ; mais ce serait sans doute se faire une singulière illusion de croire que l’œuvre d’une conférence réunie dans ces conditions va être aisée. Si l’Europe se borne à ratifier les faits accomplis, elle joue certes le rôle le plus étrange et le plus humiliant, un rôle presque ridicule ; elle avoue qu’elle a été la complice indirecte et déguisée de tout ce qui s’est fait à Philippopoli, ou qu’elle ne peut rien pour maintenir l’autorité des grandes transactions consacrées solennellement par un congrès. Si elle se décide à faire respecter ce que la diplomatie a constitué dans les Balkans, qui chargera-t-elle de cette mission délicate ? Laissera-t-elle les Turcs reconquérir par les armes les droits qu’ils ont à demi perdus ? N’est-elle pas exposée avoir la résistance s’organiser dans les Balkans, et les conflits, les insurrections éclater de nouveau dans la péninsule ? Ne risque-t-elle pas de provoquer une crise plus grave où les puissances qui ont des intérêts opposés en Orient se trouveraient fatalement engagées ? Tout finira, dit-on, par une transaction qui ne sera ni une séparation nouvelle des deux Bulgaries, ni une dépossession complète des Turcs. C’est possible, et l’on sent bien déjà que le prince Alexandre de Battenberg, par son langage, par le soin qu’il met à ménager la Porte, s’efforce de préparer une transaction de ce genre ; mais ce ne sera visiblement qu’une trêve. Le coup est porté, l’Orient a été de nouveau ébranlé, le traité de Berlin reste fort endommagé, et qui peut assurer que ce qui vient de se passer n’est pas le commencement, le prélude d’événemens nouveaux auxquels ne résisterait plus l’alliance tant vantée des trois empires du Nord ?

Il n’en est pas des affaires d’Orient comme d’un conflit éclatant à l’improviste entre deux pays, entre l’Espagne et l’Allemagne, à propos d’un incident lointain ; elles ne se règlent ni aussi vite ni aussi aisément, et la question orientale agitera encore le monde lorsqu’on ne parlera plus depuis longtemps déjà de cet incident des Carolines, qui, après avoir eu un instant sa gravité, après avoir failli allumer la guerre entre l’Espagne et l’Allemagne, tend fort heureusement aujourd’hui à s’apaiser.