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soit de la censure, appela tout de suite l’attention, et à l’étranger aussi bien qu’en France. Il s’en fit même une réimpression en Angleterre. Jeffrey, dans la Revue d’Edimbourg, lui consacra deux articles ; la Quarterly alla jusqu’à trois. Byron lisait Grimm à Ravenne, en 1821 : « Un grand homme en son genre, » écrivait-il. Ce succès, non moins que les imperfections de l’édition, engagea M. Taschereau à en donner une seconde, qui parut en 1829 et 1830, en quinze volumes, auxquels on joint un volume de supplément formé des morceaux jadis supprimés par la police impériale. Il restait cependant encore beaucoup à faire pour donner la Correspondance littéraire en un état qui pût être appelé définitif. Un grand nombre de passages étaient restés inédits malgré le supplément de 1829 : il importait de les rétablir. Le manuscrit sur lequel avait été faite la première édition ayant été détruit, il fallait tâcher d’en découvrir un autre afin d’instituer une collation sans laquelle le texte aurait manqué d’une autorité suffisante. Il y avait enfin à ajouter, et beaucoup, aux annotations des précédens éditeurs. Telle est la tâche que s’est imposée M. Tourneux, déjà mis en train et en goût de recherches par la part qu’il avait prise à l’édition des œuvres de Diderot. Son zèle l’a d’ailleurs bien servi. Ayant su que la bibliothèque ducale de Gotha possédait un exemplaire des feuilles manuscrites de Grimm, et s’étant rendu sur les lieux pour en prendre connaissance, il y trouva, outre ce qu’il cherchait, une autre correspondance. C’est celle qu’avait rédigée l’abbé Raynal, et dont l’entreprise de Grimm fut proprement la continuation. Il était donc naturel de l’y joindre, et personne ne reprochera à M. Tourneux de l’avoir mise au jour. Mais le plus grand service que le jeune savant ait rendu au lecteur est incontestablement d’avoir séparé ce qui, dans la Correspondance littéraire, appartient au rédacteur principal et ce qui a été l’œuvre de ses collaborateurs et continuateurs. Grimm, après quinze années de labeur, se lassa de sa tâche de nouvelliste et tourna ses vues vers des occupations à la fois plus lucratives et plus honorifiques. Dès 1768, il se néglige, s’absente, et laisse volontiers la plume à Diderot. Mme d’Epinay, qui l’avait certainement déjà aidé, prend également une part croissante au travail de son ami. Puis vint l’abandon définitif. Grimm, en 1773, partant pour l’Allemagne et la Russie, s’en était remis, pour le gros de la Correspondance, à Henri Meister, un jeune Zurichois qu’il s’était attaché comme secrétaire; de retour à Paris après dix-huit mois d’absence, il fit plus, et, selon l’expression de Meister lui-même, il « lui remit toute la boutique avec ses charges et ses bénéfices. » Il en résulte que, de 1773 à 1790, époque à laquelle le journal prit fin, ce journal n’est plus l’ouvrage de Grimm, et que, pour connaître les opinions