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il avait donné lieu à toute sorte d’imitations ; il y eut une Banise allemande, une Banise anglaise, princesse de Sussex, une Banise égyptienne. Le théâtre s’était à son tour emparé du sujet, et l’héroïne orientale avait fourni à la scène quelques-unes de ces représentations populaires où la boursouflure se mêlait aux arlequinades et qui faisaient le désespoir de Gottsched. Grimm, au témoignage de son maître, avait suivi d’aussi près qu’il avait pu le roman de Ziegler, mais en se proposant, bien entendu, d’exciter les vraies passions tragiques : la pitié et la terreur. A mon sens, il aurait voulu provoquer la gaîté qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Les unités y sont ; l’action commence à l’aube, finit à midi et se passe tout entière dans un temple, où, comme dans Athalie, tout le monde semble s’être donné rendez-vous. Ce temple est celui de Karkovita, le dieu de la guerre du Pégu. Il y a un usurpateur, Chaumigrem, qui a fait périr l’empereur légitime du pays et qui rappelle visiblement la fille de Jézabel, mais le défunt a laissé une fille, dont Chaumigrem entend se débarrasser en la sacrifiant sur l’autel de Karkovita, à moins pourtant qu’elle ne consente à l’épouser. Cette fille, qui est Banise, ne rappelle naturellement que de loin le petit Joas, mais, en revanche, il y a un mauvais grand-prêtre qui est tout à fait Mathan et un chef des gardes du corps qui est copié sur Abner. Au second acte, le ton s’élève; on y lit un monologue de Banise adressé au jour qui va finir ses peines, puis une scène avec Chaumigrem, partagé entre la passion et la vengeance, et enfin un nouveau monologue de l’héroïne qu’il est difficile de lire en gardant son sérieux :


Dieux, donnez-moi donc seulement la paix avec moi-même !
Aujourd’hui un joug inconnu pèse continuellement sur moi ;
Rien ne me rassasie plus, et je l’avale tout de même[1].


Je ne sais comment donner une idée de la versification de Banise. Il faudrait pour cela remonter jusqu’à l’enfance de notre théâtre, et encore aurait-on peine à y rencontrer quelque chose d’aussi parfaitement enfantin, une déclamation aussi plate, une manière aussi empêtrée. On dirait un écolier s’exerçant à écrire dans une langue qu’il est en train d’apprendre. Pas un vers heureux, pas un passage lisible. L’impression qui domine dans l’esprit du lecteur lorsqu’il a achevé cette étrange production est un sentiment de surprise en voyant d’où sont parties la langue et la littérature de l’Allemagne,

  1. Nichts macht itz mehr satt, und ich verschlinge es doch.