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combattant de nouveau à côté l’un de l’autre et se partageant encore les rôles, le premier escarmouchant, le second écrasant tout sous le poids de son argumentation gourmée.

Un mot sur l’origine de ce débat, où Grimm, comme nous l’avons dit, gagna ses lettres de naturalisation française.

L’opéra qui se jouait à l’Académie royale de musique, — tel était dès lors le titre officiel, — ne jouissait plus que d’une faveur de convention. Tout le monde s’ennuyait, bien que tout le monde n’en fit pas l’aveu, de cette déclamation musicale consacrée par l’autorité de Lulli, et que toute la science de Rameau n’était pas parvenue à faire sortir de sa monotonie. La Lettre sur Omphale, dont nous parlions tout à l’heure, avait été un symptôme de cette lassitude, et en même temps la protestation d’un amateur qui avait entendu à l’étranger des œuvres écrites dans une inspiration différente et qui venait rabattre la vanité des Parisiens à l’endroit de leur scène lyrique. C’est sur ces entrefaites que les Bouffes ou, comme on disait alors, les Bouffons italiens, arrivèrent à Paris. Une assez pauvre troupe, à laquelle l’Opéra fit la charité de prêter ses planches, mais qui ne réussit que trop bien, puisque le succès lui devint fatal. Deux sujets firent tout de suite la fortune de la bande, un chanteur nommé Manelli et la prima donna, Mlle Tonelli. Leur médiocrité, reconnue de ceux-là mêmes qui les patronnèrent le plus chaudement, disparaissait sous le charme d’un art inconnu jusque-là. Ils chantaient avec brio et ils chantaient du Pergolèse. « Quoiqu’ils fussent détestables, a écrit Rousseau, et que l’orchestre, alors très ignorant, estropiât comme à plaisir les pièces qu’ils donnaient, elles ne laissèrent pas de faire à l’opéra français un tort qu’il n’a jamais réparé. La comparaison de ces deux musiques, entendues le même jour sur le même théâtre, déboucha les oreilles françaises ; il n’y en eut point qui pût endurer la traînerie de leur musique après l’accent vif et marqué de l’italienne ; sitôt que les Bouffons avaient fini, tout s’en allait. On fut forcé de changer l’ordre et de mettre les Bouffons à la fin. »

Telle fut l’origine de la querelle des Coins. « Tout Paris se divisa, continue Rousseau, en deux partis plus échauffés que s’il se fût agi d’une affaire d’état ou de religion. L’un, plus puissant, plus nombreux, composé des grands, des riches et des femmes, soutenait la musique française ; l’autre, plus vif, plus fin, plus enthousiaste, était composé des vrais connaisseurs, des gens à talens, des hommes de génie. Son petit peloton se rassemblait à l’Opéra sous la loge de la reine. L’autre partie remplissait tout le reste du parterre et de la salle, mais son foyer principal était sous la loge du roi. Voilà d’où vinrent ces noms de partis, célèbres dans ces temps-là,