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discours en versets et dans des tours hébraïques de langage. Grimm en avait bien quelques modèles ; le Babouc de Voltaire n’est autre chose qu’une imitation du livre canonique de Jonas ; mais il est juste de reconnaître que Grimm a consacré le genre, qu’il l’a presque fondé par l’éclat de son succès, et qu’il a eu à son tour toute une lignée d’imitateurs. L’un des pamphlets qui furent opposés au sien, les Prophéties du grand prophète Monnet, affecte la même forme. Les querelles philosophiques et littéraires en firent usage aussi bien que la controverse musicale. L’abbé Morellet publia une Vision contre Palissot, Borde une Prédiction tirée d’un vieux manuscrit contre la Nouvelle Héloïse, un anonyme une Prophétie de l’abbé Joachim contre tous les écrivains en renom du XVIIIe siècle. Rousseau lui-même ne dédaigna pas d’employer le style prophétique dans ses misérables démêlés personnels de Motiers. Est-il nécessaire enfin de rappeler que l’exemple le plus illustre du pastiche biblique nous a été offert par les Paroles d’un croyant?

Le tour que Grimm donna à sa brochure musicale n’a donc rien, en somme, qui puisse nous surprendre. Il s’explique à la fois par le goût du temps pour la plaisanterie irréligieuse et par une inclination particulière de l’écrivain pour ce genre de burlesque. Comme il a parodié ici les prophètes, il parodiera une autre fois le langage de la chaire dans un souper de nouvel an chez d’Holbach, le credo et la liturgie dans une requête adressée à Catherine, sans compter de perpétuelles allusions et à tout propos. C’est proprement chez lui à l’état de tic. Ce que j’ai plus de peine à m’expliquer, c’est le cadre que Grimm a assigné à sa fiction. D’où vient le nom de Nepomucenus Franciscus de Paula Waldstorch? Que font ici le bourg de Bœhmischbroda dont ce fatidique personnage est originaire, la ville de Prague où il a étudié chez les jésuites, et, en général, toute cette mise en scène si précise qu’on a de la peine à n’y voir qu’un caprice? On n’y saurait supposer la trace de souvenirs personnels, puisque Grimm, ainsi qu’il l’atteste lui-même, n’avait alors jamais mis les pieds en Bohême[1]. En revanche, il avait certainement rencontré à Leipzig de ces étudians bohémiens, Prager Musikanten, qui, pendant les vacances, parcouraient l’Allemagne et gagnaient quelque argent en violonnant dans les foires, et l’on ne saurait douter que Grimm ait emprunté à cette réminiscence la donnée de son Waldstorch ; mais, quant à poursuivre plus en détail les traits de cette fantaisie, si tant est qu’elle ait été autre chose qu’un jeu d’imagination, il est clair qu’il faut aujourd’hui y renoncer.

  1. Correspondance littéraire, t. VIII, p. 354.