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Elihu Washburne, habitant de Galena et ami de sa famille, part pour Springfield, où il est appelé par le gouverneur de l’état : Grant va le trouver et lui dit, qu’ayant été instruit à West-Point, aux frais de la nation, il serait heureux, bien que démissionnaire, d’offrir ses services au gouvernement pour ce qu’ils vaudraient. Puis, la nostalgie de la vie militaire le prend : il arrange ses affaires, assure pour quelque temps l’existence de sa famille, et, avec quelques dollars seulement en poche, le voilà en route pour Springfield. Il trouve la ville remplie de volontaires accourus de tous côtés ; le désordre et la confusion sont partout : personne ne commande et surtout personne n’obéit. Le gouverneur Yates ne sait à qui entendre, et, parmi les gens qui l’entourent, il n’en est pas un seul qui ait la moindre notion du service militaire. Les grades et les emplois sont distribués au hasard, et lorsque Grant se présente au gouverneur, en habits civils, et offre timidement ses services, sans dire qu’il est un ancien officier, on le renvoie au lendemain, comme un importun. La même réponse lui est faite plusieurs jours consécutifs. Il est arrivé à son dernier dollar; il tente une démarche suprême. On lui propose alors, au bureau des enrôlemens, la place qu’un commis vient d’abandonner. Grant s’installe avec bonheur devant le pupitre vacant et il écrit à sa femme : « Je vais donc enfin pouvoir faire quelque chose pour les États-Unis. »

L’inexpérience des officiers et l’indocilité des soldats produisent leur effet inévitable : le 21e régiment des volontaires de l’Illinois se met en pleine rébellion; il quitte son camp et vient remplir Springfield de ses clameurs et de ses chants. Les officiers, les autorités civiles, le gouverneur lui-même essaient vainement de faire entendre raison à ces indisciplinés. Le gouverneur Yates, épuisé et découragé, exhale ses plaintes devant son personnel. Rompant avec sa taciturnité, Grant s’avance alors et dit : « Je suis un ancien capitaine, j’ai été quartier-maître de mon régiment ; voulez-vous me confier l’instruction de ces hommes? — Je vous ferai leur colonel, s’écrie le gouverneur, si vous pouvez m’en débarrasser. » Grant accepte, à la condition qu’on lui donnera pour adjudant un jeune homme de loi de Galena, son ami Rawlin, dont il devait faire plus tard son major-général et son ministre de la guerre. Le fermier malheureux, l’agent d’affaires maladroit, le commis taciturne, ont disparu; en face d’un véritable officier, froid, énergique, résolu, ayant le ton et l’habitude du commandement, les volontaires se rangent d’eux-mêmes à l’obéissance. Leur colonel ne les laisse point dans l’oisiveté; il les tient continuellement en haleine, faisant répéter, tous les jours, les manœuvres par section, par compagnie et par régiment. Au bout d’un mois, le régiment était envoyé dans le Missouri, menacé par les confédérés, et