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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/845

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avec respect, et en adressant un rapport au congrès, il put écrire que les populations acceptaient les faits accomplis et qu’elles témoignaient seulement un vif désir de recouvrer leur autonomie au sein de l’Union. Il ajoutait qu’il était nécessaire, pendant la période de reconstruction, d’assurer au peuple une protection efficace. Le congrès avait décidé que les états rebelles ne seraient admis à prendre part au gouvernement de la république que lorsqu’ils auraient introduit dans leur constitution particulière et dans leur législation les changemens nécessaires pour les mettre en harmonie avec les lois fédérales qui avaient affranchi les noirs et accordé à ceux-ci tous les droits civils et politiques que possédaient les blancs. C’est là ce qu’on appelait la « reconstruction : » quand cette œuvre législative était opérée par un état, le congrès le déclarait réintégré dans ses droits et l’autorisait à envoyer de nouveau à Washington des sénateurs et des représentans. Or, pendant cette période de reconstruction, l’autorité était presque entièrement entre les mains des généraux qui commandaient les troupes cantonnées dans le Sud. La plupart de ces généraux, encore échauffés par une lutte de quatre années, et imbus de préventions contre leurs anciens adversaires, inclinaient à voir « le peuple » exclusivement dans les nouveaux affranchis et dans les aventuriers accourus du Nord pour exploiter l’ignorance des noirs et se faire investir, par les votes de ceux-ci, de toutes les fonctions rétribuées. Ils témoignaient, envers l’ancienne population blanche, sinon d’une malveillance systématique, au moins d’une défiance extrême, l’accusant de n’accepter l’émancipation qu’à contre-cœur et de vouloir maintenir les affranchis dans une condition d’infériorité. Grant se laissa bien vite aller, par la pente naturelle de son caractère, à accepter les jugemens et à partager la manière de voir de ses compagnons d’armes, qui étaient énergiquement soutenus par le ministre de la guerre, M. Stanton, tandis qu’André Johnson, arrivé à la présidence par suite de l’assassinat de Lincoln, et citoyen d’un des anciens états à esclaves, le Tennessee, inclinait vers une politique de conciliation. Le président aurait voulu remplacer quelques-uns des généraux qui commandaient dans le Sud par des hommes plus modérés. Un conflit éclata, à ce sujet, entre M. Stanton et le président, et Grant prit ouvertement parti pour le ministre de la guerre, jetant dans la balance tout le poids de son influence personnelle.

Combien il était mieux inspiré, au lendemain de la prise de Vicksburg, lorsque sa popularité grandissante amenait à son quartier-général une foule de politiciens et qu’il répondait à ceux qui lui demandaient son avis sur les affaires publiques : « Je suis incapable de parler politique ; s’il y a une matière sur laquelle je puisse donner des conseils, c’est la façon de tanner le cuir. » En se maintenant