avait toujours opposé ce précédent à Grant comme ayant moralement la force d’un article de la constitution. Ce précédent lui serait-il encore opposable, si, après un intervalle de quatre années, la confiance et la gratitude du peuple l’appelaient de nouveau à la première magistrature? Le temps ferait oublier la plupart des fautes commises ; il ne laisserait subsister que le souvenir des immenses services rendus au pays pendant la guerre civile. Il fallait soustraire Grant aux intrigues des politiciens, aux entrevues avec les journalistes, le préserver de toute imprudence de conduite ou de parole et, pour cela, l’éloigner des États-Unis. On lui conseilla donc de visiter l’Europe, qu’il n’avait jamais vue. Il accueillit cette idée avec empressement. Le gouvernement américain mit un bâtiment de la marine nationale à sa disposition. Il parcourut d’abord l’Angleterre et une partie de la France; en Écosse, il alla visiter Granttown, le berceau de tous les Grant écossais, auxquels il aimait à se rattacher. Il fut l’hôte de tous les grands seigneurs des trois royaumes, la cité de Londres et la plupart des grandes villes lui offrirent des banquets et lui conférèrent le droit de bourgeoisie. L’accueil qu’il recevait partout, les facilités qui lui étaient données le déterminèrent aisément à étendre et à prolonger ses pérégrinations. Il visita l’Europe entière : les empereurs d’Allemagne, de Russie et d’Autriche, tous les souverains le reçurent avec une distinction marquée ; l’archevêque de New-York, le cardinal Mac-Closkey, le présenta à Léon XIII. En janvier 1879, le général et sa famille, qui l’accompagnait partout, partirent pour l’Inde par la voie de Suez : le vice-roi, lord Lytton, leur donna l’hospitalité dans son palais, et leur séjour à Calcutta ne fut qu’une succession de fêtes splendides. Après l’Inde, ce fut le tour de la Chine et celui du Japon, où le mikado lui donna audience et lui fit passer la revue de ses troupes. Le 2 septembre 1879, Grant débarquait à San-Francisco : il parcourait les états riverains du Pacifique et regagnait à petites journées, à travers les états de l’Ouest, sa résidence de New-York, où il arriva à la fin de novembre. Les moindres incidens de son long voyage avaient été racontés en détail par les journaux : l’accueil qui lui avait été fait par toutes les cours et les honneurs qui lui avaient été partout rendus comme au plus illustre citoyen des États-Unis avaient singulièrement flatté l’amour-propre des Américains, comme autant d’hommages indirects à la grandeur de leur pays, et la réception qu’ils firent à Grant, à son retour, se ressentit de cette impression. Elle fut si chaleureuse et marquée par tant d’expressions spontanées d’un sincère enthousiasme que les amis du général s’accordèrent à considérer ses chances d’être réélu président comme très sérieuses. Un seul point les préoccupait, c’était les dispositions des populations du Sud. L’administration
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