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après avoir vendu, jusqu’à la fin de 1883, 581 millions d’acres de terre, en ont encore 1 milliard 200 millions à vendre, qu’ils peuvent donc offrir à chacun des habitans actuels du globe 1 acre, soit 40 ares, plus que la superficie de la moyenne des parcelles inscrites au cadastre français en 1884.

La grande république de l’Amérique du nord est la rivale la plus active, mais elle n’est pas la seule. Une ardeur de production, semblable à celle dont elle a donné l’exemple au monde entier, éclate dans la région de l’Amérique du sud, qui occupe, dans cet hémisphère, quant à l’étendue, à la situation politique, sociale et climatologique le rang qui appartient à la république des États-Unis dans l’hémisphère nord.

A l’heure où l’inquiétude était à son comble dans les régions agricoles, un steamer rapide de 3,000 tonnes, arrivant de Buenos-Aires à Marseille, après dix-sept jours de voyage, jetait au mois de janvier 1884, sur le quai de La Joliette, son chargement de blé et de maïs, que, faute d’autre retour, il avait pris à 5 francs de fret la tonne. Cela semblait vraiment une gageure. Par quel bouleversement géographique un port que l’on croyait hier encore à vingt-cinq jours de mer, à 3,500 lieues, se rapprochait-il ainsi? Par quelle révolution commerciale en coûtait-il moins pour convoyer une tonne de blé du fond de l’hémisphère sud que pour l’apporter d’Arles à Marseille?

Il n’y a pas d’agriculteur qui, en présence de surprises de cette nature, n’ait perdu le peu de sécurité qui lui restait : après le colon du Far-West, celui des pampas entreprenait, lui aussi, avec la charrue, la conquête de 300 millions d’hectares de terres fertiles sous un climat tempéré et venait prendre rang parmi les producteurs à bon marché que les progrès de la navigation rapprochent, concurrent nouveau aggravant un désastre déjà complet. Les rivaux mal connus étant les plus redoutés, peut-être trouvera-t-on quelque intérêt à surprendre celui-ci au moment où il vient d’entrer en lice, à pénétrer dans cette région de culture où des paysans en majeure partie français ou suisses-français, venus le plus souvent sans ressources, se sont taillé dans la plaine pampéenne des domaines aux proportions moins vastes que ceux de leurs congénères des États-Unis, mais où ils vivent et travaillent en propriétaires aisés.


I.

La légende raconte qu’en l’an 1576, lorsque Juan de Garay, avant de songer à reprendre, au lieu où est aujourd’hui Buenos-Aires,