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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/874

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longs sacrifices et de rudes épreuves. Il ne vint même à personne l’idée de les garantir contre les mauvaises récoltes et les accidens imprévus en distribuant aux colons quelques-uns de ces troupeaux qui avaient si peu de valeur et qui avaient toujours servi de greniers d’abondance aux habitans de la pampa : on ne réserva aucunes pâtures privées aux communes, il fallut que le colon tirât du sol toute sa subsistance sans compter sur autre chose que les produits de son travail. C’était créer à plaisir des difficultés là où elles étaient si nombreuses; en réalité, les propriétaires qui vendaient leurs terres semblaient faire le calcul égoïste de se réserver les profits maigres, mais spontanés, de l’industrie pastorale, et d’exploiter seuls ce débouché nouveau créé à leurs troupeaux à la porte même de leurs estancias. Ils pensaient que, pour faire des éleveurs, il n’était pas besoin de les aller chercher si loin, et qu’eux-mêmes suffisaient à cette besogne paresseuse.

C’est ce système défectueux qui a rendu si pénible le début des colonies, qui a prolongé outre mesure la période de formation, multiplié les découragemens et les ruines, laissant le colon sans ressources devant une récolte détruite par la sécheresse ou dévorée à la veille de la moisson par des nuées de sauterelles ; mais c’est à ce système aussi que l’on doit peut-être les réels progrès agricoles qui, au milieu de ces épreuves et par ces épreuves, ont ouvert et préparé l’ère de l’agriculture pampéenne. Le troupeau, s’il eût été possible au colon d’en élever un sur sa terre, l’eût vite dispensé de tout travail et l’eût engourdi dans la somnolence traditionnelle et semi-barbare de la vie de pasteur, contre laquelle personne, jusque-là, n’avait songé à réagir et que l’agriculteur a pour première mission de combattre.


III.

Il est intéressant de constater aujourd’hui les résultats acquis et de reconstruire, chemin faisant, l’histoire progressive des groupes à qui ils sont dus.

A quelques kilomètres de la ville de Santa-Fé, près du lieu même où, en 1525, avait abordé pour la première fois un navigateur européen, Sébastien Cabot, dont le nom a été dénaturé par ses contemporains et par la chronique pour le faire entrer dans l’histoire sous le pseudonyme castillan de Sébastian Galoto, fut établie, en 1854, la première colonie; elle était composée de Suisses et de Français. Son nom (Esperanza), qui a réalisé ce qu’il promettait, est l’objet d’une véritable vénération dans tout le pays. Elle est l’aïeule de toutes les