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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/879

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lucratif. Il n’y a, en effet, sur cette terre de la production facile, que le travail qui ait un prix élevé; par une anomalie que la facilité même de la production et le nombre restreint des habitans explique, la vie matérielle, le nécessaire de la vie, déjà à meilleur marché qu’en aucun lieu du monde, semble baisser de prix à mesure que la population augmente, cette population laborieuse produisant toujours au-delà de ses besoins. C’est ainsi que la viande, après des fluctuations diverses de prix, est revenue depuis quelques années au prix infime où elle était, il y a un siècle, et ne dépasse pas fr. 20 la livre, quand elle est chère ; les autres denrées alimentaires règlent naturellement leur prix sur celui de cet aliment par excellence du travailleur.

Salaires élevés, vie à bon marché, ce sont là deux élémens de succès facile pour le nouveau débarqué, qui rapprochent la réalisation de son rêve. Un autre élément contribue puissamment à lui fournir les ressources nécessaires à l’acquisition d’un lot de terrain, c’est le principe de l’association, que les anciens colons mettent en pratique avec le travailleur. L’association a été de temps immémorial le système préféré dans toutes les entreprises rurales de la pampa; l’éleveur l’a toujours appliquée avec son berger, et il est rare de trouver dans les grandes exploitations des hommes à gages ; partout prévaut le régime simple et fécond de l’association. Le propriétaire offre sa terre, les moyens de la féconder, la semence, les élémens d’une habitation sommaire, au colon qui apporte son travail et celui de sa famille, et reçoit en compensation le tiers, le quart ou la moitié des produits, suivant la somme d’apports fournis par l’un ou par l’autre et qui varie à volonté.

Les colons propriétaires suivent tous ce système : possédant le plus souvent plusieurs groupes de concessions dans la colonie qu’ils habitent ou en dehors d’elle, ils ne peuvent les cultiver toutes; au lieu de recourir à l’embauchage de travailleurs salariés, ils font un associé, un métayer, presque un propriétaire, du prolétaire débarqué la veille, souvent sans ressources et toujours sans connaissance du climat, des saisons et des procédés de culture. Celui-ci, pris ainsi en tutelle, encouragé par l’espérance d’un produit proportionné à ses efforts, aidé pour subsister jusqu’à la moisson par le crédit que tout commerçant du voisinage ouvre sans hésiter sur les espérances de récolte, libre de ses actes dans les limites de ses engagemens, n’est pas empêché de louer, s’il le juge à propos, ses services aux jours de loisir à quelque voisin, et de rapprocher ainsi l’heure où une bonne récolte et l’économie lui permettront d’être propriétaire et de multiplier lui aussi ses cultures, en faisant pour d’autres ce que les anciens ont fait pour lui.