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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/898

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langue et ses origines germaniques. Idéaliste, comme un vrai fils de la révolution française, M. Thiers, qui comprenait tout, n’a jamais bien saisi la puissance du sentiment ethnique qui est en train de refaire la carte de l’Europe sur la base des nationalités, tandis que Cavour et Bismarck, ces deux grands « réalistes, » en ont tiré l’Italie et l’Allemagne que nous avons sous les yeux.

Les revendications des nationalités sont la conséquence inévitable du développement de la culture littéraire, de la presse et de la démocratie. En autocrate peut gouverner vingt peuples divers sans s’inquiéter ni de leur idiome ni de leur race. Avec le règne des assemblées, tout change. Quand la parole gouverne, il faut savoir quelle langue on parlera : ce sera nécessairement la langue nationale. Voulez-vous instruire le peuple, il faut bien le faire en sa langue. Le jugez-vous, ce ne peut être en un idiome étranger. Vous prétendez le représenter et vous demandez son vote, il faut au moins qu’il vous comprenne. Et ainsi, peu à peu, parlement, tribunaux, écoles, enseignement à tous les degrés, sont conquis par la langue nationale. L’exemple le plus curieux de ces renaissances des nationalités se rencontre en Finlande. La civilisation était complètement suédoise : le finnois, langue dédaignée, était relégué au fond des campagnes. Aujourd’hui le finnois est devenu la seconde langue officielle. L’enseignement primaire se donne presque partout en cet idiome; il y a des gymnases dans l’enseignement moyen, des cours à l’université et même un théâtre national, où j’ai entendu chanter Martha en finnois. En Galicie, le polonais a complètement remplacé l’allemand et, lors de la dernière visite de l’empereur, le discours de réception lui a été adressé en polonais. En Bohême, le tchèque triomphe définitivement et menace aussi d’éliminer l’allemand. A l’ouverture de la diète, le gouverneur prononce son allocution dans les deux langues. A Prague, à côté de l’université allemande, on a créé récemment une université tchèque, qui est le symbole du triomphe de la cause nationale. Celle-ci est favorisée, non-seulement par les patriotes radicaux et conservateurs, mais même par les seigneurs et le clergé. L’archevêque Schwarzenberg, quoique Allemand, ne veut plus nommer que des curés tchèques, même dans le Nord, où l’allemand domine.

Dans les choses humaines il se produit parfois des courans irrésistibles ; rien ne les arrête et tout les sert. Tel est le mouvement des nationalités. Considérez leur réveil depuis un demi-siècle : inconnues, ignorées par la diplomatie et l’histoire, elles se relèvent puissantes, irrésistibles, glorieuses : on dirait la résurrection des