Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/950

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tenta de jouer une autre pièce que celle de M. Ohnet. Il fit choix des Mères repenties, un drame presque fameux de Félicien Mallefille. Une idée première intéressante, une exposition vivement faite, un second acte où deux scènes sont menées avec une sûreté remarquable, un dénoûment qui n’est pas sans beauté, quoique décidé par un moyen saugrenu; un rôle curieux, joué curieusement par M. Dumaine; une esquisse de personnage, présentée à merveille par Mme Pasca; une autre, où M. Romain a montré que, si M. Damala fait des progrès, il ne reste pas en arrière ; de-ci, de-là, une phrase où se condense une estimable amertume de pensée; partout une recherche de force et de précision, voilà ce qu’on reconnut dans les Mères repenties. Mais trop d’invraisemblances romantiques, naïves ou méditées, dans l’action, dans les caractères et dans les mœurs, jointes à je ne sais quoi de démodé dans le style, firent classer définitivement l’ouvrage, — s’il est des jugemens littéraires qui soient définitifs, — dans une espèce voisine du mélodrame. Cette pièce est la dernière, assure-t-on, que Mme Pasca doive jouer au Gymnase : nous ne verrions pas sans chagrin cette comédienne distinguée et pathétique se retirer si tôt. La principale utilité de cette reprise aura été de la désigner une fois de plus, qui sera sans doute la bonne, à l’habile équité du comité de la rue Richelieu... Hélas! c’est au comité seulement que nous pouvons adresser cette requête, et nous devons finir cette revue par une douloureuse nouvelle.

M. Emile Perrin, administrateur général de la Comédie-Française, est mort. Depuis tout juste huit jours, par un effort de la volonté sur la maladie, il avait repris le gouvernement de la maison, comme s’il avait juré de mourir debout. Il fut, ce haut bourgeois de Paris, ce grand fonctionnaire de l’état dans l’ordre des lettres, un gentilhomme et un artiste. La critique le taquina souvent sur ses préférences pour tel genre d’ouvrages, pour tel procédé d’exécution, pour telle façon de gouverner les comédiens : toujours elle respecta son zèle, son dévoûment à sa tâche, son goût sincère de la chose dramatique, aussi bien que sa fière et discrète personne. Elle est unanime aujourd’hui à regretter ses mérites. On permettra, peut-être, à l’un de ceux qui se sont toujours efforcés de le comprendre et qui, pensant l’avoir compris, l’ont rarement blâmé, de s’incliner avec autant d’émotion que ses adversaires devant son cercueil.


LOUIS GANDERAX.