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se faire prier, à la tentation d’ajouter, par l’annexion d’une province, un fleuron à la couronne bulgare : il s’est déclaré le chef du mouvement, et dès lors, ceux qui ont fait cette révolution n’ont plus eu d’autre pensée que de tout précipiter ; ils se sont hâtés d’organiser militairement, administrativement cette union, de mettre des forces sur pied, avec la préoccupation évidente de conquérir au plus vite le bénéfice du fait accompli et irrévocable. C’est ce qui s’est passé jusqu’ici dans les deux provinces unies. Depuis le coup de théâtre de Philippopoli, qui a porté une atteinte directe à un ordre diplomatique créé par un congrès souverain, on a eu à peine le temps de se reconnaître et de se consulter. Le gouvernement du sultan, qui était le plus intéressé, mais qui n’était pas le seul intéressé, a eu la prudence de ne pas essayer de rentrer par la force dans une de ses possessions, de ne pas compromettre par un acte de coercition sommaire une situation déjà assez délicate et assez grave ; il a tenu à ne rien faire sans s’être adressé aux puissances qui ont signé le traité de Berlin, qui ont créé l’état territorial dans les Balkans. Les puissances, à leur tour, se sont communiqué leurs impressions, leurs idées ; elles ont délibéré, et le premier résultat saisissable de ces délibérations entre cabinets a été la réunion des représentans des principaux gouvernemens de l’Europe à Constantinople. Les ambassadeurs se sont réunis il y a peu de jours et ils ont rédigé un mémorandum condamnant l’insurrection de Philippopoli, reconnaissant le droit et la modération de la Turquie, exhortant tout le monde à s’arrêter, à éviter l’effusion du sang. Ce n’est là évidemment qu’une entrée en scène de la diplomatie, le préliminaire de résolutions plus précises. Quelles seront maintenant ces résolutions ? Comment en assurera-t-on l’autorité et l’efficacité ? C’est ici que l’accord devient plus difficile, que tout se complique, d’autant plus qu’à la question bulgare viennent se joindre toutes les autres questions qui font pour ainsi dire explosion dès qu’une étincelle jaillit sur quelque point de l’Orient.

C’est la Bulgarie qui a commencé, et aussitôt toutes ces populations orientales, tous ces jeunes états se sont agités, comptant peut-être sur les divisions de l’Europe ou sur la complicité de quelque puissance. En quelques jours, le mouvement s’est propagé et a pris un caractère singulièrement périlleux. La Serbie s’est armée sous prétexte que la révolution bulgare troublait l’équilibre dans la presqu’île des Balkans et la déliait elle-même des engagemens du traité de Berlin. Le roi Milan s’est hâté de convoquer son assemblée, qui n’a pas manqué de l’exciter à l’action et de voter un emprunt de guerre. Les forces serbes, mobilisées en toute hâte, se sont portées à la frontière, à Nisch, prêtes à ouvrir la campagne, à se jeter dans la vieille Serbie, dans cette région sur laquelle les regards des politiques de Belgrade