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aux nécessités passagères qui l’ont déterminé. D’ailleurs, l’union dût-elle subsister après le scrutin du 18 octobre, elle consacrerait selon toute vraisemblance la prépondérance des idées radicales, et c’est justement ce qui est de nature à préoccuper vivement le monde des affaires et du travail.

La situation au dehors n’offre pas de moindres sujets d’inquiétude. On avait espéré que l’accord des trois empires résoudrait promptement les difficultés résultant de la révolution bulgare. La Turquie, au lieu d’agir ab irato contre l’insurrection rouméliote, avait fait appel à l’intervention des puissances et remis sa cause à l’arbitrage du concert européen. Mais l’entente entre les gouvernemens a tardé à s’établir. Les marchés financiers, un moment rassérénés par l’annonce qu’une conférence allait remettre tout en ordre dans l’Europe orientale et apaiser le conflit naissant, commencent à douter du succès de l’intervention diplomatique. Les réunions des ambassadeurs à Constantinople n’ont abouti à aucun résultat. La Turquie s’impatiente et se prépare à agir militairement. La Serbie et la Grèce ont réclamé des compensations territoriales en se plaignant que l’équilibre établi par le traité de Berlin fût rompu à leur détriment. Ces deux petits états ont mobilisé leurs armées et menacent de recourir à la force si l’Europe ne fait pas droit à leurs revendications. Chaque journée qui s’écoule, infructueuse au point de vue de l’arrangement espéré, diminue les chances d’une solution pacifique. Il est vrai que les représentais des puissances prodiguent à Belgrade et à Athènes les conseils de modération, et que l’Autriche notamment s’efforce d’arrêter la Serbie devant l’aventure belliqueuse où le prince Milan est sur le point de s’engager. Il est même question d’une démonstration navale combinée dans les eaux helléniques. On paraît croire malheureusement, à Vienne et à Berlin, que cette pression un peu tardive restera sans effet contre l’effervescence populaire qui entraîne les gouvernemens.

La spéculation à la hausse a capitulé, au moins provisoirement, devant la gravité des événemens politiques. Des positions depuis longtemps conservées et qui s’appuyaient sur le bon marché de l’argent, sur l’avilissement des reports et sur le concours de l’épargne, ont été brusquement liquidées. L’étendue et la continuité de la réaction indiquent, en outre, que des banquiers et des établissemens de crédit ont allégé leurs portefeuilles. En même temps que les rentes, ont été offertes les grosses valeurs, Banque de France, Crédit foncier, actions des grandes compagnies, Banque de Paris, Gaz, etc. Non que rien dans la situation de ces sociétés justifie une dépréciation si subite et si importante, mais parce que ce n’est pas en jetant sur le marché des titres libérés de 250 francs et cotés bien au-dessous du pair que les capitalistes peuvent aisément se munir d’argent liquide, tandis que les gros titres offrent relativement toutes facilités à cet égard.