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vécut certainement en rapports avec plusieurs personnes de la famille de William, dit qu’il entra d’abord au théâtre comme « serviteur. » On croit que sa fonction fut celle de prompter’s attendant (aide souffleur), ou autrement call boy. Il avertissait les acteurs d’entrer en scène. Il était avertisseur.

On voudrait savoir au moins à quelle troupe Shakspeare fut lié et abord. Il y en avait alors plusieurs, existant chacune sous le patronage d’un grand seigneur, d’un ministre ou de la reine et s’intitulant serviteurs du personnage qui leur accordait protection. En cette même année 1587, où Shakspeare retourna pour la première fois à Stratford, les serviteurs des lords Essex, Leicester et Stratford y vinrent donner des représentations. Mais il n’y a pas de raisons de croire que Shakspeare en fit partie. Il est certain qu’il était attaché au théâtre de Burbage ; mais cela n’apprend rien, car le fameux entrepreneur théâtral n’avait plus alors de troupe à lui et louait sa salle à toutes celles qui lui en offraient un bon prix.

Aussi l’obscurité devient de plus en plus profonde. L’arrangement auquel Shakspeare intervint en 1587 est le dernier fait connu de sa jeunesse Jusqu’en 1592, nous n’entendrons plus parler de lui. Il est au théâtre, passant d’un emploi infime à un autre moins bas, apprenant le métier dramatique par le plus long et le plus dur apprentissage.

Le théâtre en ce temps, pas plus qu’en tout autre, n’était un lieu bien pur. Les gens moraux, les hauts bourgeois de la cité, les pasteurs les puritains surtout, le regardaient comme un antre de Satan un palais de Vénus, une des abominations de l’Antéchrist. « Satan, dit Northbrook, n’a pas de moyen plus sûr, ni de meilleure école pour conduire les hommes et les femmes dans les embûches de la concupiscence et dans les sales plaisirs de la criminelle débauche. » en 1580, après un tremblement de terre qui terrifia la ville les prédicateurs tonnèrent en chaire contre les horreurs des théâtres qui appelaient sur Londres les éclats de la colère divine. C’est que les représentations étaient pour les prêches une redoutable concurrence et un prédicant se trahit lorsqu’il dit : « Un coup de trompette vous réunira mille pour voir une sale comédie, et la cloche pourra tinter une heure sans vous réunir cent pour entendre un sermon. » Pourtant les femmes ne paraissaient pas sur la scène, et tous les rôles étaient tenus par des hommes. Cela semble exclure une des sources les plus communes de scandale. Mais les théâtres n’en paraissaient pas moins aux yeux des bourgeois rigides, comme de dangereux mauvais lieux. Il faut dire que le peuple de la plus basse classe y accourait en foule ; des rixes et des désordres y étaient fréquens. On y avait de mauvaises façons, mangeant et buvant,