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point gai, quoiqu’un commençât à construire de ce côté quelques maisons de plaisance : il y avait un gibet et l’on pendait près du théâtre.

James Burbage avait loué, pour vingt et un ans, les deux jardins, les quatre masures et la grange qui devinrent le « Théâtre. » Il ne dirigea les représentations que trois ans ; en 1579 tout en restant propriétaire du théâtre et locataire du terrain, il céda la direction à un certain John Hyde, qui la garda jusqu’en 1589 Très près du « Théâtre, » dans un pré que l’on appelait le « Rideau vert » (Green Curtain), s’était élevé, un an après le premier un second théâtre, le Curtain. Les spectacles que l’on y donnait étaient d’un caractère plus varié, quoique la tragédie y eût aussi sa place. Les salles de spectacle étaient ouvertes au plein air ; c’étaient des sortes de cours, entourées de tribunes et de galeries. La scène et les galeries étaient ouvertes : le centre, the pit ou the yard où le public populaire se tenait debout, était exposé à toutes les intempéries des saisons. Les représentations, comme il paraît naturel, avaient lieu le jour, et il en fut ainsi tant qu’il n’y eut pas de théâtre couvert. L’entrée au théâtre, qui donnait seulement droit à se tenir debout dans le pit, était de un penny. On payait deux pennys pour être admis aux galeries, trois pennys pour les loges (rooms ou boxes). Les gens à la mode s’asseyaient sur les côtés de la scène, comme il fut longtemps d’usage en France, au grand détriment de l’illusion scénique ; ils payaient six pence ou un shilling. Quoique la valeur de l’argent soit bien changée, on voit que le théâtre était un divertissement à bon marché et, par conséquent populaire.

Les décors et les trucs, quoique évidemment simples, n’étaient point aussi puérils qu’un se le figure souvent. La machination déjà compliquée des mystères nous est une preuve que les légendes courantes à ce sujet se trompent de siècle et doivent remonter à une époque plus ancienne.

On peut se figurer le jeu des acteurs comme très libre et violent, leur déclamation comme forte et un peu enflée ; le côté comique, grotesque même des scènes, devait toujours être mis en relief, en faveur d’un public qui, nous dit-on, supportait avec peine de rester longtemps grave. L’acteur, alerte et bien découplé, ignorait la crainte du ridicule. Ainsi nous savons que Richard Burbage, jouant Hamlet, avec un immense succès, ne craignait point d’emporter dans ses bras, en sortant de scène, le cadavre de Polonius. Ceci était presque une nécessité, car le théâtre n’avait point de rideau. Mais l’acteur recherchait d’autres effets dont la bizarrerie était la seule raison. Dans la scène entre Hamlet et sa mère, au moment où le spectre paraissait, Burbage, qui était assis, se levait brusquement