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l’on a vu depuis un demi-siècle que l’épreuve a réussi. Il en sera de même en Bulgarie : mais qu’on s’y défie du fonctionnarisme et du parlementarisme, deux fléaux dont souffre particulièrement un autre pays libre de la péninsule, la Grèce. L’assemblée nationale compte un grand nom lire de n peaux de mouton, » c’est-à-dire de paysans portant la veste fourrée du costume national. La toilette de ces ruraux est assez peu en harmonie avec les élégances des dîners et des bals de la cour ; ils sont, en outre, très économes, très défians de l’étranger, — en quoi ils n’ont pas tort. — et ils ne voteront peut-être pas facilement des fonds pour des dépenses de luxe ; mais ils forment une excellente base d’opération pour tout gouvernement qui restera fidèle aux traditions du pays, qui en respectera les institutions séculaires et qui n’empruntera pas à l’Occident la déplorable habitude de trop dépenser et de combler les déficits par des emprunts périodiques.

Il est une question que je voudrais poser à tout le monde ici : Et les Tusses, les aime-t-on ? Les tories anglais avaient-ils oui ou non raison de craindre que ces provinces affranchies ne fussent les avant-postes de l’empire du Nord, dans sa marche sur Constantinople ? Tout ce que j’apprends me fait croire que le marquis de Bath a parfaitement résumé les sentimens des Bulgares à l’égard des grands états, quand il a dit qu’ils les aimaient dans la mesure où ils croyaient pouvoir compter sur l’appui de chacun d’eux. Ils ont des sympathies pour la France et sans arrière-pensée ; ils n’ont rien à craindre d’elle. Elle a toujours défendu le principe des nationalités et elle a créé l’Italie en 1858. En Orient, elle a protégé les chrétiens et elle n’aurait rien à objecter à la réunion des populations bulgares. Faut-il ajouter que la France a été représentée ici par un homme instruit, aimable, dont la table hospitalière était un des charmes de Sophia, M. Schefer, nommé récemment au Monténégro ? Pour l’Angleterre, leurs sentimens sont bien mêlés. Ils ont un vrai culte pour Gladstone et ils savent par cœur ses discours au sujet des Bulgarian atrocities, mais ils exècrent les tories et Beaconsfield, les aveugles amis des Turcs. Ils n’aiment pas l’Autriche. Ils lui reprochent d’être hostile à leurs libertés, de pousser le prince dans la voie de la réaction, d’être l’ennemie des Slaves, et surtout de s’opposer à l’affranchissement de la Macédoine, afin de pouvoir s’en emparer et de favoriser le prosélytisme de l’église romaine. Ils ne sont nullement intolérans, ils voient même dans les Pomaks musulmans des frères, parce qu’ils sont de race bulgare ; mais, depuis les débats ecclésiastiques de 1860 à 1872, ils redoutent extrêmement les intrigues des agens du pape et des jésuites. Envers la Russie, qui les a récemment délivrés au prix de tant de sacrifices en hommes et en argent, ils sont profondément