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les survivans étaient frappés de stupeur. Toute la nuit, il resta sur pied, donnant ses ordres pour reconstruire les ouvrages endommages ; les signaux avaient été mal faits par les Anversois : la flotte de secours ne bougea point, et au bout de trois jours le pont était de nouveau fermé.

Les assiégés tournèrent alors leurs efforts d’un autre côté et essayèrent de reprendre la digne de Kowenstyn, cette mince ligne de terre, à peine sortant des eaux, devint le théâtre d’une lutte acharnée. Un moment, les Anversois s’en crurent les maîtres, mais les Espagnols finirent par les déloger au bout de huit heures de combat. Tout était maintenant fini, et l’agonie d’Anvers allait commencer. Le 12 août, Sainte-Aldegonde alla au camp du prince pour faire des offres de soumission. Le prince n’insista que sur quelques points, l’abolition des cultes hérétiques, la construction d’une citadelle, le maintien d’une garnison. Le traité fut signé quelques jours après, et Parme fit son entrée, entouré seulement d’Allemands et de Wallons, suivi de nobles belges, du duc d’Arscholt du prince de Chimay, d’Egmont et d’Arenberg. Il n’infligea aucun châtiment à la ville rebelle ; il y arriva plutôt comme un souverain que comme un vainqueur ; il se rendit à la cathédrale, restituée au culte catholique, et fit chanter le Te Deum. Son terrible pont, qui avait bridé la ville, fut orné de branchages, d’arcs de triomphes et de fleurs ; les troupes espagnoles et italiennes y donnèrent une grande fête, et l’on y servit un grand banquet. Pendant trois jours, la ville se livra à la joie, se donna sans vergogne au bonheur de revivre. Anvers n’avait pas été secourue par la Hollande : elle aima mieux expliquer sa chute par l’abandon de ses alliés que par l’aveu de ses fautes. Farnèse ménagea sa faiblesse, lui donna une kermesse après les privations d’un siège, lui montra la mer de nouveau ouverte, le commerce renaissant : il l’étonna par son faste et par sa générosité. « Si Guillaume le Taciturne avait été vivant, dit Motley, l’écusson espagnol, relevé avec une hâte si indécente, n’aurait sans doute jamais été revu sur les murailles des Pays-Bas. La Belgique serait devenue une partie constituante d’un grand royaume indépendant, au lieu de languir jusqu’à notre siècle, simple dépendance d’une métropole éloignée. » Pour être moins sanglans que les triomphes du duc d’Albe, ceux de Farnèse furent bien plus complets et plus durables ; tous les protestans sincères, tous ceux qui avaient été l’âme de la résistance, prirent la route de l’exil et allèrent chercher des temples dans d’autres pays ; ceux qui restèrent ne se regardaient pas comme des vaincus, et rentrèrent sans effort dans l’obéissance rendue plus facile et plus douce.

La correspondance de Farnèse et de Philippe II sur le fait de la