Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/214

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses petites ambitions et pour humilier les Bergfeldt plus de volonté, de passion et de ruse qu’il n’en faut à un conquérant pour ajouter une province à ses états. Son biographe lui-même, quelque bienveillance qu’il ait pour elle, s’égaie quelquefois à ses dépens et semble lui reprocher l’a prêté de ses efforts et la vanité de ses entreprises. Elle peut s’en consoler en pensant qu’aux yeux de tel philosophe épicurien, les conquérans et les grands publiques sont des hommes qui souvent se remuent et se tracassent beaucoup pour arriver à peu de chose. Un de ces épicuriens nous disait quelques jours après la mort de lord Beaconsfield : « C’était une grande figure que cet homme. Quelle destinée que la sienne ! Que d’intrigue, que de génie, quelle âpre persévérance il lui a fallu pour faire oublier à l’Angleterre ses origines suspectes, l’humilité de ses commencemens, et pour s’imposer à la plus fière des aristocraties, qui l’avait accablé de ses mépris et de ses lardons ! » Il ajouta, un instant après : « Reste à savoir si le jeu en valait la chandelle. Cache ta vie, a dit Épicure, qui se connaissait en vrai bonheur. »

On trouverait facilement dans le roman anglais et français plus d’une petite bourgeoise de la même famille, de la même espèce que Mme Wilhelmine Buchholz, et il en est dans le nombre de plus intéressantes. Mais Mme Buchholz ne peut être confondue avec personne ; elle est de son pays ; son esprit et sa sottise sont des vins surs, mais francs, qui sentent le terroir. Comme beaucoup de ses compatriotes, elle a du talent pour l’ironie aigre. Elle n’est ni bonne ni méchante. Si jamais elle devenait bonne, elle serait fado, et c’est malheureusement ce qui lui arrive dans la seconde partie de son histoire, telle que M. Stinde la raconte, rien n’étant plus rare dans les romans de nos voisins que la netteté rigoureuse du parti-pris et qu’un caractère sans défaillances. Mais dans ses beaux jours et avant sa fâcheuse et invraisemblable réforme, elle attendait pour être aimable d’avoir découvert à quoi cela peut servir. Elle avait aussi la prétention de ne s’étonner de rien. Le vrai berlinois se pique de tout savoir ; il a tout vu, tout connu, tout approfondi, il a fait le tour du monde sans sortir de sa coquille ou de sa kneipe ; bien habile qui réussirait à lui apprendre quelque chose. Mme Buchholz s’étonne quelquefois malgré elle, mais elle s’en cache avec soin. Elle considère l’étonnement comme une marque certaine d’infériorité, et elle entend ne jamais perdre un pouce de sa petite taille.

Si coriace qu’elle soit, elle a des accès courts, mais fréquens de sensibilité romantique et larmoyante. Elle s’extasie devant les beautés de la nature, devant les grâces du printemps ; elle estime que, s’il est agréable de vivre à la ville, eu doit être un vrai bonheur que d’être enterré à la campagne. Elle soutient avec chaleur que l’amour est un sentiment beaucoup trop élevé, trop éthéré, trop sublime pour qu’il