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dissimuler l’infertilité d’une petite matière, on peut dire qu’il y est toujours au-dessus ou au-dessous, et, en tous cas, hors de lui-même et de son naturel. Je n’en crois rien, s’il faut l’avouer ; mais, puisqu’on peut le dire, puisqu’on l’a dit, puisqu’on le répète, il suffit ; et, en ce qui regarde Fléchier, puisqu’il est effectivement emphatique, précieux et guindé dans l’oraison funèbre, lisons-le donc dans ses Semons et dans ses Panégyriques.

Je ne dirai point qu’il y est ceci, qu’il y est cela, mais, en deux mots, qu’il y est avant tout et surtout homme de lettres. On pouvait s’y attendre, si l’on se rappelle sa jeunesse et ses débuts. Bel esprit, formé à l’école du sieur de Richesource, puis à l’école des précieuses, et non pas les premières, mais leurs imitatrices, aussi mondain que pouvait l’être au dix-septième siècle un homme de sa naissance et de sa condition, avide de succès, doué d’ailleurs de très réelles qualités littéraires et d’infiniment d’esprit, prédestiné enfin, si jamais quelqu’un le fut, à célébrer l’hôtel de Rambouillet, la chambre bleue, l’incomparable Arthénice, Julie d’Angennes après sa mère, et le mari après la femme, le marquis après la marquise, le duc après la duchesse, les Montausier après les Rambouillet, Fléchier ne fut rien de plus ni de moins dans ses Sermons que ce qu’il avait été dans ses petits vers à Mlle Delavigne ou à Mlle Dupré, dans ses lettres à Mme ou à Mlle Deshoulières, ce qu’il est dans ses Mémoires sur les grands jours d’Auvergne : un homme du monde, un homme d’esprit, un homme de lettres.

C’est ce qui nous explique ici que, de tous nos grands prédicateurs, puisqu’il en est encore, il soit le seul qui ait lui-même imprimé ses Panégyriques et ses Sermons[1]. — Je ne parle pas des Oraisons funèbres : on en devait la publication, si je puis ainsi dire, à la famille du mort, et à l’honneur qu’elle vous avait fait de vous choisir pour le louer. — Massillon, dont le talent, d’ailleurs, et même le caractère ne sont pas sans quelque analogie avec le caractère et le talent de Fléchier, avait bien de sa main recopié ses Sermons, et non pas une fois, mais plusieurs, dit la légende ; il ne les avait pas publiés cependant ; et, tout en les préparant soigneusement pour l’impression, il n’avait pas voulu du moins qu’ils parussent de son vivant. Bourdaloue ne s’inquiéta seulement pas d’un pareil soin ; et,

  1. Panégyriques et autres sermons précités par messire Esprit Fléchier. A Paris, chez Jean Anisson, directeur de l’imprimerie royale, 1696. Les sermons proprement dits sont précédés d’un court avertissement où Fléchier nous explique qu’il les a choisis, entre plusieurs autres, « soit à cause de la dignité des personnes à qui il a eu l’honneur d’annoncer quelques-unes de ces vérités, soit à cause de l’utilité des matières qui y sont traitées, soit enfin pour la singularité des sujets. » Il n’est peut-être pas indifférent d’ajouter que l’édition est fort belle.