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ce caractère mondain que M. l’abbé Fabre est bien obligé ! de noter dans les Sermons eux-mêmes de la maturité de Fléchier ? Si Fléchier ne prêche pas le dogme, s’il se borne à la morale, et, sans autrement parler de quelques complaisances, si ce qu’il aime surtout de la morale, c’en est les applications, où en effet il peut montrer toute sa connaissance des mines, des manèges, des vices qui sont ceux du monde, c’est qu’aucun décret, si je puis ainsi dire, ne l’avait appelé particulièrement à la prédication. Il faut donc se le représenter comme un très honnête homme, d’esprit modéré, de goûts simples, engagé par hasard dans l’église, n’ayant d’ailleurs aucun effort à faire pour accorder sa conscience avec ses devoirs d’évêque ou sa conduite avec sa foi ; mais qui, dans toute autre carrière, si sa condition, si sa fortune, si les circonstances l’eussent permis, apportant les mêmes qualités, eût obtenu le même succès, gagné les mêmes éloges et mérité le même respect. Et je ne crois pas rien dire, en le disant, qui puisse diminuer ce respect, mais seulement éclairer certains côtés de son caractère et de son talent, lesquels, sans cette supposition, nous demeureraient obscurs.

C’est, en effet, comme si je disais que tout ce que l’art peut mettre dans les genres où il s’est exercé, dans l’Oraison funèbre, dans le Sermon, dans le Panégyrique, Fléchier l’y a effectivement mis, et rien de l’accent, ou de l’âme, si l’on veut, qu’il n’y pouvait pas mettre. Il est correct, de cette correction supérieure, qui est le sens inné du génie de la langue, il est harmonieux, il est élégant, il est net ; sa phrase a du nombre, sa période a de l’ampleur, et, quoique les transitions y soient souvent faibles ou brusques, sa composition ne manque ni de clarté, ni de logique, ni parfois de grandeur. Un lui a reproché des antithèses ; mais ni dans Massillon, ni dans Bourdaloue les antithèses ne manquent, et, après tout, n’a-t-on pas pu prétendre que l’antithèse était le fond ou l’essence même de la prédication chrétienne ? On l’a repris sur cette préoccupation de la musique de la phrase, qui, en effet, ne le quitte guère ; mais ne serait-ce pas peut-être se méprendre sur les conditions de la parole publique ? On a enfin critiqué dans son style une recherche trop visible du choix de l’expression et de l’ingéniosité du tour ; et le reproche est mieux fondé. Mais tout cela ne serait rien, pour parler ici comme lui, si cela n’était tout dans ses Panégyriques ou dans ses Oraisons funèbres, et s’il n’y manquait, non pas le naturel, comme un l’a dit souvent, mais quelque chose de plus et de plus rare, à savoir cette ardeur de gagner des âmes qui est le principe et la source de l’éloquence souveraine de Bossuet, de la dialectique passionnée de Bourdaloue, de la sensibilité diffuse de Massillon. Voilà ce qu’il n’a pas, mais à aucun degré ; et voilà ce qui fait son évidente infériorité. Les autres, Bossuet et Bourdaloue surtout, sont