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qui rejette l’éclat du monde. Si notre simplicité déplaît aux superbes, qu’ils sachent que nous craignons de leur plaire, que Jésus-Christ dédaigne leur faste insolent, et qu’il ne veut être connu que par les humbles. Abaissons-nous donc à ces humbles, et faisons-leur des prédications dont la bassesse tienne quelque chose de l’humiliation de la Croix. » Ainsi s’exprime Bossuet quand il veut louer l’Apôtre Paul, ce petit Juif, si méprisé, » dont la mine est aussi peu relevée que la parole est inculte, et le style aussi peu régulier que sa doctrine est dure à recevoir.

Appliquez maintenant ce principe, et servez-vous-en pour juger à leur tour les jugemens que l’on a portés sur nos grands sermonnaires. Laharpe a déclaré Bossuet « médiocre dans le sermon. » Ce n’est pas là seulement, comme on le croit d’ordinale, une erreur de goût, c’est une inintelligence réelle du christianisme. Il y a dans les Sermons de Bossuet une certaine rudesse, un sensible mépris des artifices de la rhétorique, une évidente négligence de tout ce qui ne ferait qu’embellir son discours et le rendrait plus régulier, mais non pas plus fort, ni plus chrétien ; et Laharpe ne croit s’étonner que de cette négligence ; mais, en réalité, il s’indigne de cette façon sommaire d’en user avec lui. Il veut lire un sermon de Bossuet comme il lit un pamphlet de Voltaire, en épicurien lettré, pour s’y plaire et non pas être choqué dans son philosophisme. La médiocrité de Bossuet consiste à s’être fait de l’éloquence de la chaire une idée plus conforme à celle de saint Paul qu’à celle de Laharpe. D’autres ont reproché à Bourdaloue l’excès de ses divisions, de ses subdivisions, et des redivisions de ses subdivisions, et, en effet, don abuse ou plutôt il en abuserait, s’il n’avait ses raisons, dont l’une des principales est de rendre son discours plus touchant, plus instructif aux plus humbles de ses auditeurs. Il ne prêche pas pour plaire à Mme de Sévigné, quoique peut-être il ne fût pas insensible à cette gloire, ni pour suivre « les usages des Grecs et des Romains, » comme l’eût voulu Voltaire, mais pour opposer les leçons du christianisme aux pratiques du monde, et il ne lui importe pas d’être loué dans les rhétoriques à venir, mais de convaincre ses auditeurs. C’est encore le reproche qui a tort ; et que l’on accepte ou non la religion de Bourdaloue, il faut s’en faire une idée juste, et s’il se peut, entière, avant de juger son éloquence. Au contraire, on loue Massillon dû n’avoir pas prêché le dogme et de n’avoir pas donné à la morale chrétienne « une dureté capable de la rendre odieuse. » En effet, il est certain que ses Sermons sont déjà des sermons laïques, et, comme tels, ce sont ceux que d’Alembert préfère à tous les autres. Je comprends sa préférence, mais je ne puis m’empêcher de songer que si la morale chrétienne n’était pas plus sévère ou « plus dure » que celle des