Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que nous appelons aujourd’hui le positivisme. Il croit au fait comme à la donnée première et dernière hors de laquelle on ne peut faire un pas, et dont il est vain par conséquent de chercher l’explication, Il se refuse à appliquer à la nature nos mesures de grandeur et de petitesse, de dignité et de bassesse, de bien et de mal. Le monde n’a point d’autres lois que celles qu’il tire de sa constitution même. Ce qui est n’a pas à se justifier, il est, cela lui suffit et doit nous suffire. Tel est le sentiment constant de Grimm, et une vue qu’il trouva un jour l’occasion d’exprimer tout à son aise. C’était au sujet de la catastrophe qui fit une si vive impression sur le XVIIIe siècle et qui produisit Candide. Une fois piqué au jeu par ce qui lui semblait les atroces caprices de la Providence, Voltaire avait attaqué l’optimisme en vers comme en prose, et c’est sur son poème de Lisbonne que Grimm le prend à partie. Il n’admet pas qu’avec Leibniz et Pope on dise : Tout est bien, mais il n’admet pas davantage qu’on appelle mal la destruction de quelques milliers de personnes. Un mat, et pourquoi cela ? « Quel est votre orgueil de vous compter pour quelque chose dans l’immensité et d’attaquer l’ordre général sur l’anéantissement de quelques êtres auxquels vous vous intéressez par un retour involontaire sur vous et sur votre faiblesse, parce que vous êtes de leur espèce, ou parce qu’ayant une vie et le sentiment de votre existence cmme eux, vous vous sentez exposé aux mêmes dangers ? Il y a du bonheur et du malheur, mais le bien et le mal sont deux mots vides de sens pour le vrai philosophe. Tout ce qui est doit être par cela même que cela est »

À cette conception de la nature se rattachent des vues que l’on rencontre également chez Diderot, une sorte de darwinisme avant Darwin. Le monde a-t-il proprement commencé ? Savons-nous les formes par lesquelles il a passé et passera encore ? Qui peut assurer qu’il n’y a pas autant d’espèces perdues qu’il en existe actuellement ? La destruction des uns sert à la naissance et à la conservation des autres. La guerre est un fait de nature, et le loup obéit aussi bien à ses lois en déchirant sa proie qu’en nourrissant et défendant ses petits. Tout est si bien force et droit du plus fort sur la terre que, si les hommes se sont réunis en société, c’est pour se tenir réciproquement en échec.

Le déterminisme moral de Grimm appartient au même ordre d’idées. Nos perceptions, selon lui, ne sont ni volontaires ni libres, et nos actions ne le sont pas davantage. Notre conduite est toujours le résultat de modifications de notre être amenées elles-mêmes par les circonstances. Mais, et c’est ici une notion favorite de l’écrivain, loin d’être contraire à Sa morale, la croyance à la