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l’immensité de son œuvre que Voltaire arriva à la royauté littéraire de ses dernières années. Il y a cependant une autre cause de l’incertitude dans laquelle la Correspondance littéraire nous laisse sur le sentiment définitif de Grimm au sujet de Voltaire. Grimm n’a de parti pris ni pour ni contre un auteur qu’il connaissait personnellement très peu, qui vivait au loin et n’appartenait pas proprement au monde philosophique. Le critique se laisse donc tout bonnement aller à l’impression du moment, et s’abandonne tour à tour, selon l’occasion, à l’admiration et à l’humeur. Il loue en termes généraux, — et, de plus en plus, à mesure que le temps met l’auréole au front du personnage, — mais quand il en vient au fait et au prendre, quand il a devant lui la dernière tragédie, la dernière histoire, le dernier pamphlet arrivé de Ferney, il use du privilège d’une correspondance secrète et dit franchement ce qu’il en pense. Et, de fait, les deux hommes ne s’allaient guère. Probe, instruit, sérieux, et resté étranger, nous l’avons vu, à quelques-unes des plus vives qualités de l’esprit français, Grimm ne pouvait éprouver une sympathie complète pour un écrivain qui se distinguait surtout par ses grâces indéfinissables, mais à qui manquaient le goût de l’antiquité, la force philosophique, et la droiture du caractère. Diderot, au fond, ne comprenait et ne goûtait pas plus Voltaire que ne faisait Grimm, Avec des exceptions, je le répète, avec des momens dans lesquels l’un et l’autre se laissaient gagner par l’admiration pour la variété des dons, pour l’œuvre totale si considérable, pour l’éclat des services rendus à la cause commune.

Nous voici avertis, et nous ne nous étonnerons plus de trouver sur presque tous les points l’alternative de l’enthousiasme et de l’aigreur ; quelque fois là où l’on attendrait précisément tout l’opposé. La célèbre et charmante épître sur le lac de Genève, par exemple,


O maison d’Aristippe, ô jardins d’Epicure !


est traitée avec le dernier mépris. « C’est un de ces enfans contrefaits et sans ressource, que son père, s’il eût été Spartiate, aurait condamné dès sa naissance. » Il paraît, du reste, que tel fut le sentiment commun au premier moment, car Grimm nous assure, en son médiocre français, que la pièce « n’a encore trouvé aucun partisan contre la censure générale du public de Paris. » Candide n’est pas plus heureux. Il n’y a ni ordonnance, ni plan, ni… sagesse ! « En revanche, beaucoup de choses de mauvais goût, d’autres de mauvais ton, des polissonneries et des ordures qui n’ont point ce voile de gaze qui les rend supportables. » Singulier jugement de la part d’un critique qui, dans la Pucelle, n’avait trouvé à reprendre que le manque d’invention ! Son admiration, Grimm la