Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de sa royauté temporelle par la commune de Rome, mais où l’église romaine gardait toujours son prestige en tant qu’œuvre maîtresse du génie italien. L’Italie a tourmenté les papes ; elle les a vus sans remords, pendant trois siècles, fuir, proscrits et outragés, sur tous ses chemins ; jamais elle n’a consenti à se rallier aux antipapes, presque tous Allemands, que lui donnaient les empereurs. Au temps des papes d’Avignon, elle a résisté aux séductions d’un schisme ; au temps du grand schisme, elle a su réserver à ses pontifes propres la légitimité apostolique.

Il était naturel, en effet, que le plus grand effort des Italiens fût dirigé du côté de l’indépendance religieuse. Ils n’eussent rien gagné à se soustraire à l’empire et à la féodalité s’ils s’étaient d’ailleurs résignés à la domination du saint-siège. Entre l’église et l’Italie s’établit une sorte de concordat tacite où l’indulgence réciproque eut la meilleure part. L’église permit aux Italiens de passer sans austérité ni tristesse à travers cette vallée de larmes. Les papes accordèrent à la péninsule des libertés ecclésiastiques qu’ils eussent refusées à l’étranger ; à l’église de Milan, dont l’archevêque était une sorte de souverain pontife, l’autonomie liturgique ; à Venise, un patriarcat presque indépendant de Rome ; à la Sicile, au midi napolitain, une familiarité étonnante avec la communion grecque et l’usage de la langue grecque pour le culte. Les meilleurs chrétiens de l’Italie, les moines, les anachorètes élèvent sans cesse la voix contre les abus du pontificat romain, que corrompt la puissance séculière. Pierre Damien, l’ami de Grégoire VII, déplore que l’église ait en main le glaive temporel. On connaît les invectives furieuses de Dante contre Rome, l’insolence du moine Jacopone à l’égard de Boniface VIII. Mais, en tout ceci, il faut voir la passion politique plutôt que l’émotion religieuse. Le christianisme italien est une création singulière. Il tient beaucoup de la foi primitive ; le dogme étroit, la morale rigide, la pratique sévère, la hiérarchie gênent fort peu son indépendance : l’inspiration individuelle, la communion directe du fidèle avec Dieu, qui forment le fond de la religion franciscaine, sont peut-être les plus essentielles traditions de l’âme italienne. Une pensée paraît souvent chez leurs premiers écrivains, tels que Dante et Francesco da Barberino : c’est dans le cœur qu’est la religion vraie. Dante met en purgatoire le roi Manfred que l’église a maudit, que Clément IV a fait arracher à sa sépulture et jeter, — a lame spento, les cierges étant éteints, — au bord du Garigliano. Non, s’écrie le fils de Frédéric II, leur malédiction ne peut nous damner.

Per lor maledizion si non si perde.