ne croient plus à rien ». Lentement, d’année en année, la culture savante fit baisser la foi dans les âmes. Le paganisme littéraire des humanistes du XVe siècle, les railleries déjà voltairiennes de Pulci, montrent le progrès du scepticisme chez les hommes instruits. La foi individuelle n’avait pu résister à l’action de la raison individuelle. Les lettrés, malgré leurs propos impies, ne professent point réellement l’athéisme, mais une philosophie vague, très tolérante, empreinte de fatalisme, qui se résume en ces paroles du professeur de Sixte IV, Galeotto Marzio : « Celui qui se conduit bien et qui agit d’après la loi naturelle entrera au ciel, à quelque peuple qu’il appartienne ».
L’incrédulité des humanistes trouvait sa justification dans le spectacle que donnait l’église, l’excès de ses ambitions temporelles, le trafic de la tiare, le scandale de la simonie et du népotisme, la cruauté d’un Sixte IV, l’avidité d’un Alexandre VI, la violence d’un Jules II ; quant au peuple, il voyait ou devinait le reste et les contours ne lui ménageaient guère sur la vie des clercs et des moines les plus piquantes révélations. Il comprenait que le charlatanisme occupait le sanctuaire, qu’on lui montrait, comme un divertissement de foire, de faux miracles et de faux exorcismes. Nous pouvons, sur ce point, en croire les nouvelles de Boccace et de Massuccio, quand nous lisons dans le pieux Salimbene : « En 1238, à Parme, vers le temps de Pâques, les mineurs et les prêcheurs s’entendirent sur les miracles qu’il convenait de faire cette année-là, intromittebant se de miraculis faciundis ». D’ailleurs, les écrivains qui se jouaient le plus librement des choses saintes, n’étaient-ils point eux-mêmes gens d’église : Boccace, le Pogge, Berni, Teofilo Folengo, Bandello ? Tandis qu’on voyait, au sommet de la hiérarchie, le pape Alexandre livrer à sa fille la régence du saint-siège, Savonarole criait à toute l’Italie la vie honteuse du clergé séculier. Les moines étalaient librement leur grossièreté. Aux funérailles du cardinal d’Estouteville, sous Sixte IV, mineurs et augustins se battirent, à Sant-Agostino, à coups de torches autour du cadavre, qu’il s’agissait de dépouiller de son anneau et de sa chasuble. Si l’Italie, gagnée par la libre pensée dont l’église n’était point responsable, s’était éloignée de l’évangile, l’église n’avait plus aucun droit pour l’y rappeler. Savonarole put provoquer à Florence une explosion de fanatisme ; ou voyait encore çà et là des bandes de flagellants ; des ermites visionnaires prophétisaient de tous côtés ; de Léon X à Paul III, se formait à Rome une chapelle de chrétiens lettrés tels que Bembo, Sadolet, Vittoria Colonna, Contarini, qui essayèrent de revenir au christianisme très pur du XIIIe siècle : ces réveils accidentels de la foi montrent mieux encore