Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/388

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur un roi sans défense et sur quelques invalides. Mais, plus que personne, sa correspondance le montre, il dut subir l’espèce de vertige qui, de proche en proche, avait gagné comme une contagion les meilleurs esprits et qui éclata presque au même moment dans les plus vieux corps en transports furieux. On sait le rôle que jouèrent les sociétés populaires dans ces mouvemens anarchiques ; il n’en est presque pas un qui n’ait été préparé, sinon dirigé par elles. Dès leur établissement, en 1769 et 1790, ces sociétés, qui s’intitulaient toutes amies de la constitution, avaient eu dans l’armée de nombreux adhérens, et le ministre avait dû, par mesure de police, en interdire la fréquentation. Mais cette interdiction, qui ne devait pas tarder à être levée par l’assemblée nationale, n’avait jamais été strictement observée ; il s’était même formé dans beaucoup de régimens des comités de défense qui correspondaient entre eux et qui formaient de véritables clubs, avec leurs séances régulières et leurs orateurs attitrés. Muscar avait tout en qu’il fallait pour tenir le rôle avec succès : cinq pieds six pouces, une voix de stentor, de la faconde naturelle, l’emphase du temps, quelque esprit et beaucoup de rondeur. Doué de la sorte, il ne pouvait manquer de réussir auprès de ses camarades et de prendre sur eux, le cas échéant, l’autorité que la foule accorde toujours à qui met de solides épaules et de forts poumons à son service. Donc en très peu de temps, il était devenu, comme on dit, une des fortes têtes du régiment ; les mécontens se groupaient autour de lui et lorsque des paroles, au mois de janvier 1790, ils en vinrent aux actes, à l’insubordination, c’est lui naturellement qu’ils mirent en avant et qui fut leur ambassadeur.

La discipline était déjà bien malade alors, elle ne subsistait plus dans beaucoup de régimens que par un reste d’habitude. La mutinerie de Vivarais, — c’était une des premières qui se fut encore produite avec autant d’éclat, — émut pourtant le ministre et provoqua de sa part un acte de juste sévérité. Emprisonné par ordre supérieur, Muscar fut conduit, pour y être jugé par un conseil de guerre, à la citadelle de Verdun, puis bientôt après, sur un changement de garnison du régiment, à Montmédy. Mais La Tour du Pin avait compté sans la municipalité, qui avait pris le parti du prisonnier, et sans Vivarais, qui réclamait l’élargissement de son ambassadeur sous la forme de délibérations adressées, contrairement à toutes les règles hiérarchiques, au comité des rapports de l’assemblée nationale.

Bientôt, en effet, le 6 avril, un premier orage éclatait sur la tête du ministre. Il était dénoncé par un obscur député de Carcassonne, M. Dupré pour avoir fait « enlever clandestinement par la maréchaussée un bon citoyen dont la conduite en d’autres temps eût mérité la couronne civique. » M. Dupré reprochait encore à La Tour du Pin de n’avoir pas tenu compte des réclamations du corps municipal,