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trouveront des trésors, mais il est douteux que, même dans la forme abrégée que lui a donnée M. Ernest David, il parvienne à dissiper tous les malentendus.

C’est à quoi M. Lane Poole et surtout M. William Cart ont eu le mérite de s’attacher de préférence. Tour la partie biographique. M. Cart suit fidèlement M. Philipp Spitta, et il ne pouvait assurément mieux faire. Mais sa critique est plus large, sa vue porte plus loin. Il a senti que Bach s’adresse aussi bien au cœur qu’à l’intelligence, que, dans son œuvre, l’inspiration n’a pas une part moindre que le travail ; sous le contrepointiste il cherche le poète. Cette tendance nouvelle donne à son livre un intérêt particulier pour le public français en une duquel il semble avoir été spécialement écrit, et si la thèse que j’indique n’y est pas plus développée, c’est sans doute qu’en songeant à la frivolité proverbiale de nos compatriotes, l’auteur, qui est Suisse, se sera cru tenu à quelques ménagemens. Quoique nous n’en soyons plus tout à fait là, il est certain pourtant que nous aurions encore quelque peine à gravir les hautes cimes du monde musical sans un guide d’expérience pour nous montrer la route, nous indiquer les raccourcis, nous tendre la main dans les passages difficiles et se charger au besoin du bagage. M. William Cart est d’un pays qui nous a beaucoup gâtés sous ce rapport ; le pli est pris, le mieux donc est d’accepter ses bons offices, tout en nous réservant de discuter ses jugemens et de compléter ses aperçus.


II

Jean-Sébastien Bach a surtout écrit pour l’église, et il faut convenir que beaucoup de ses formules ont vieilli. Mais de pareils griefs jureraient avec l’état présent de notre culture littéraire et artistique. Nos philologues ont remonté jusqu’aux chansons de geste pour y découvrir des beautés comparables à celles de l’Iliade ; nos archéologues et nos romanciers ont réhabilité l’art gothique ; il est de mode chez nos peintres de préférer Memling à Rubens et Masaccio à Raphaël. Les archaïsmes ne sont donc pas pour nous effaroucher. La langue de Bach, d’ailleurs (je parlerai plus tard de ses procédés de composition), la langue de Bach, dis-je, ne nous ramène pas si loin en arrière qu’elle exige un bien grand effort d’esprit. Pour lui trouver des affinités littéraires, il suffit de se reporter à la première moitié du XVIIe siècle. Elle en rappelle la plénitude, la grâce naïve et robuste, le tour libre, familier, hardi, brusque parfois, et, par-dessus tout, l’air