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en prit alors son parti, et, le 25 janvier 1533, se décidant enfin à considérer comme nulle l’union contractée avec la fille de Ferdinand et d’Isabelle, il épousa Anne de Boleyn. Il y avait sept ans qu’il s’était épris d’amour pour elle. Hepworth Dixon soutient, et nous voulons le croire, qu’elle avait su se défendre pendant ce long stage contre les entraînemens d’une passion partagée. Ce n’était que le premier acte de la révolution ; le second, la rupture entre l’Angleterre et le saint-siège, ne se fit pas attendre. Dès sa réunion au mois d’avril, le parlement fut saisi du projet de loi qui créait une église nationale, avec le roi pour chef suprême. Les modérés, tels que Thomas Morus, qui n’auraient pas voulu se séparer de Rome, s’étaient mis à l’écart, de leur plein gré ou par la volonté du roi. Cranmer, l’un des partisans les plus convaincus de la séparation, était devenu archevêque de Canterbury. Les prélats dévoués à l’église romaine, qui s’étaient gorgés de bénéfices, à l’exemple de Wolsey, leur supérieur hiérarchique, avaient été terrifiés par la disgrâce du cardinal. La loi fut votée. Quelques mois plus tard, Anne mettais au monde une fille, celle qui fut plus tard la reine Elisabeth. L’Angleterre était irrémédiablement brouillée avec l’Espagne ; par compensation, elle avait l’alliance de la France. Quant aux Anglais eux-mêmes, ils acceptaient, la plupart satisfaits, quelques-uns résignés, une révolution qui consacrait l’indépendance de leur pays.


II

A Londres et dans toute l’étendue des comtés qui environnent la capitale, cette l’évolution était faite dans les esprits avant d’avoir été consacrée par une loi du royaume ; on y haïssait l’influence espagnole et tout ce qui s’y rattachait ; mais il n’en était pas de même dans le nord. L’Angleterre était à cette époque, comme elle l’est encore aujourd’hui, divisée en deux provinces ecclésiastiques, York et Canterbury, avec la différence que cette division était alors autre chose qu’une expression géographique. D’une rive à l’autre de la Trent, comme d’une rive à l’autre de la Tweed, c’étaient d’autres mœurs, parfois d’autres lois, presque d’autres races d’hommes. L’aristocratie industrielle, la richesse que la houille, le fer et le coton ont engendrées dans les comtés du nord, datent du siècle dernier au plus loin. Il y a trois cents ans, il n’existait qu’une ville York, au-delà de la Kent : grande ville sans contredit, dont les habitans parlaient avec dédain de Londres et des autres villes du Sud. Mais, en dehors d’York, il n’y avait qu’une population rurale, pauvre, ignorante, maintenue dans ses convictions religieuses, moins encore par le clergé séculier que par les moines, qui s’y étaient rendus populaires. C’était dans les vallées de la Severn et de