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de l’Autriche en Orient. De sorte que telle est la situation, à l’heure qu’il est : d’un côté, des agitations belliqueuses de populations surexcitées, de jeunes états impatiens de satisfaire leurs ambitions ; de l’autre, des contradictions ou des divergences de conseils qui ne pourront que précipiter ou aggraver la crise, si les puissances n’ont pas la sagesse de se mettre d’accord pour maintenir, pour imposer au besoin la paix. Que sortira-t-il de tout cela ? On dit qu’aujourd’hui, après bien des tâtonnemens ou des débats préliminaires, les diplomates qui représentent l’Europe à la conférence de Constantinople ont fini par s’entendre sur le principe du rétablissement de l’ancien ordre de choses dans la Roumélie, C’est un premier acte, ce n’est point évidemment le plus sérieux et le plus décisif. La vraie difficulté est dans la mesure où l’on croira devoir appliquer ce principe d’une restauration qui n’a vraisemblablement rien d’absolu, et dans le choix des moyens qu’on emploiera pour faire prévaloir les résolutions qu’on aura adoptées. Quelle sera la sanction effective des décisions européennes ? Comment réussira-t-on à ramener la Roumélie sous l’autorité du sultan et à désarmer la Serbie, la Grèce, qui savent bien qu’en aucun cas elles ne seront abandonnées, qu’elles n’ont tout au plus à perdre que des hommes et de l’argent ? Quel rôle l’Europe entend-elle accepter pour elle-même et quel rôle réserve-t-on à la Turquie ? On n’est point assurément au bout des difficultés et des complications.

Est-ce à dire que ces incidens des Balkans, quelque incommodes qu’ils soient, doivent réveiller à courte échéance cette éternelle question du démembrement de l’empire turc ? Il y a bien longtemps qu’on parle à propos de tout de cette disparition imminente de l’empire ottoman. Il y a plus d’un siècle déjà, le prince Potemkin disait à M. de Ségur : « Vous voulez protéger un empire à l’agonie… » Sous l’empire, sous la restauration, sous la monarchie de juillet, on n’a cessé de voir se reproduire cette question qu’un ambassadeur du roi Louis-Philippe posait à M. de Metternich : « Que ferez-vous si, après avoir épuisé toutes les chances de conserver la Porte, elle devait crouler ? » Plus d’un demi-siècle après Potemkin, il y a déjà trente ans et plus, l’empereur Nicolas, dans des conversations fameuses avec un ministre anglais, sir Hamilton Seymour, parlait du Turc comme de « l’homme malade, » des provinces ottomanes comme d’une propriété en déshérence qu’il n’y avait plus qu’à se partager pacifiquement pour n’avoir point à se la disputer les armes à la main. Ce qu’on répète si souvent et si légèrement aujourd’hui, on l’a toujours dit depuis un siècle. La Turquie cependant vit encore, en dépit de tous les assauts qu’elle a essuyés ; on serait même fort embarrassé pour la remplacer, on n’en doute pas, et puisqu’on le sait, mieux vaudrait ne pas parler toujours da sa mort. Ce qu’il y aurait certainement de mieux à faire, ce serait de la respecter, de lui laisser les moyens de vivre, au lieu de