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trésors, pour armer contre l’ennemi de la foi chrétienne les fils dégénérés des croisés.

Quand la ligue, après de longs débats et d’interminables hésitations, fut conclue, on offrit le commandement de l’armée au duc d’Anjou. « Le duc s’excusa, dit Brantôme[1], sur les affaires du roi son frère. » A défaut de ce prince français, on voulut un instant avoir pour généralissime le prince de Savoie : « Le prince objecta l’état de sa santé. » Peut-être les alliés se méfièrent-ils aussi, toute réflexion faite, de son ambition. Le nom de don Juan d’Autriche fut enfin prononcé. « Don Juan d’Autriche ne fit pas comme les autres : de grande joie et très volontiers, il accepta ce beau et saint bâton de général. » Il avait alors vingt-quatre ans. « Il était beau, gentil en toutes ses actions, courtois, affable, d’un grand esprit et surtout très brave. » De plus « il croyait le conseil. » — trait de ressemblance que nous lui reconnaissons avec Nelson, — « et lui obéissait pour se faire grand. »

Les princes ont été quelquefois le plus bel ornement d’une république : les monarchies leur ont dû en tout temps la sève et la vigueur. Sans eux, les armées n’auraient trouvé pour les commander que des capitaines au déclin de l’âge. Nous avons vu Doria et Barberousse, sur leurs vieux jours, s’alarmant d’une responsabilité qui, quelques années plus tôt, leur eût paru légère, vouloir, d’un commun accord, écarter l’occasion d’une action décisive[2] : nous verrons, au contraire, à Lépante, un jeune capitaine affranchi tout à coup par la fortune propice des doutes importuns dont de timides conseils ne cessent depuis deux mois d’assiéger son esprit, céder à l’involontaire transport d’une âme que l’approche du combat enivre et témoigner sa guerrière allégresse « en dansant la gaillarde avec deux de ses chevaliers sur la place d’armes de sa galère. » Le vice-roi de Naples, don Garcia de Toledo, a pourtant écrit : « Je sens s’évanouir la tranquillité que j’ai conservée jusqu’à présent : c’est moins l’insuffisance numérique de nos gens que leur qualité qui m’inquiète. Notre flotte part avec des soldats novices qui sauront à peine décharger leurs arquebuses. La flotte turque est dans des conditions tout autres : je n’y vois que des soldats exercés, habitués à tirer bon parti de leurs armes. La perte de la bataille serait plus grave que le succès ne pourrait être avantageux : à moins d’un ordre formel de Sa Majesté, je ne me mettrais point en situation d’être obligé de livrer bataille. Il faut du moins laisser

  1. Œuvres complètes de Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, publiées d’après les manuscrits avec variantes et fragmens inédits, par Ludovic Lalanne. Paris, MIDCCCLXVIII.
  2. Voyez, dans la Revue du 1er septembre, les Vieux Amiraux.