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une vengeance et pour railler un ridicule. Les deux pièces parurent séparément, ornées chacune d’une épigraphe burlesque et d’une dédicace où des allusions blessantes se déguisaient sous les formes de l’hommage. Les noms des dames à qui s’adressaient ces épîtres étaient remplacés par des étoiles, mais ils étaient reconnaissables aux titres dont ces astérisques étaient accompagnés : c’étaient la princesse de Robecq et la comtesse de La Marck. La première avait été la maîtresse de Choiseul et était connue par la haine qu’elle professait pour le parti philosophique ; elle usa, dans la suite, de la faveur dont elle jouissait près du ministre pour faire jouer les Philosophes de Palissot et pour faire mettre Morellet à la Bastille. La comtesse de La Marck, née Noailles, paraît surtout avoir en des prétentions au bel esprit. La cruauté de la satire de Grimm échappe en grande partie aujourd’hui avec le sens des insinuations dont elle est semée. Il en parle lui-même dans la Correspondance comme d’un « persiflage auquel personne n’a rien compris et que tout le monde a voulu expliquer. » Ce qui est certain, c’est que les victimes s’y reconnurent et cherchèrent à atteindre les coupables. Naturellement soupçonné, puisque c’était la défense de ses pièces de théâtre qui avait été l’origine de la publication, Diderot se justifia et couvrit en même temps Deleyre et Forbonnais, en déclarant qu’il avait en leurs traductions entre les mains, mais qu’elles différaient de celles qui avaient été imprimées et n’étaient accompagnées d’aucune dédicace. On ajoute, mais sans preuve, que Grimm fut soupçonné, et que son ami se donna pour le coupable afin de le sauver. La vérité est que l’attribution même des deux dédicaces à l’auteur de la Correspondance ne repose sur aucun témoignage direct et reste affaire de tradition et de conjecture. Le bruit qu’avait fait cette malencontreuse plaisanterie paraissait apaisé lorsqu’il recommença, deux ans après, à l’occasion de la pièce des Philosophes et de la mort de Mme de Robecq. Palissot, pour justifier près de Voltaire ses attaques contre le parti de l’Encyclopédie, reproduisit ses accusations contre Diderot, qu’il persistait à tenir pour l’auteur des libelles. Voltaire défendit l’accusé, tout en affectant de blâmer la publication. « M. le duc de Choiseul, écrivait-il à Thiriot, sait très bien que je condamne plus que personne le trait indécent et odieux contre Mme la princesse de Robecq. Il est absurde de mêler les dames dans des querelles d’auteurs. Voilà des philosophes bien maladroits ! Il faut se moquer des Fréron, des Chaumeix, des Le Franc, et respecter les dames, surtout les Montmorenci. »

La pénurie des détails sur la vie privée de Grimm sera notre excuse pour mentionner une plaisanterie que des amis, sans nul doute, se permirent à ses dépens. On a trouvé dans ses papiers des lettres