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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 72.djvu/607

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corruption, la pauvre princesse commençait le dur apprentissage de la vie, et il semble que, dans ce portrait, elle ait comme un pressentiment de l’existence errante et des aventures douteuses qui l’attendent. Mariée avec répugnance à un époux qui ne l’aimait pas, délaissée par sa mère, abandonnée par Charles IX et détestée par Henri III, trahie surtout par ses propres faiblesses, Marguerite de Navarre ne trouva de refuge que dans son esprit, surtout dans sa bonté. Elle donna souvent son cœur, mais ne le vendit jamais, et l’amour y tint trop de place pour que la haine y pût entrer. L’histoire lui pardonne beaucoup, parce qu’elle a beaucoup pardonné. Ses admirateurs lui attribuent une beauté rare ; ses portraits leur donnent tort. Ses traits n’ont pas assez de régularité pour être beaux, mais ils ont le charme et la vivacité. Elle avait les yeux un peu gros, les joues pleines et arrondies des Médicis ; la lèvre supérieure était fine, la lèvre inférieure un peu forte et pendante. Tout cela constituait une beauté sensuelle, « la beauté faite pour nous damner, » dira plus tard don Juan d’Autriche en la voyant au Louvre… En regardant sa fille, Catherine de Médicis s’y peut certainement reconnaître ; mais, en considérant le caractère de cette enfant, elle a bien des motifs aussi de la renier.

Au point de vue de la ressemblance, Catherine de Médicis a le droit de réclamer également son dernier fils, François, duc d’Alençon. Cependant, l’analogie des traits est moins frappante. Les portraits de ce jeune homme ont une crânerie qui leur est personnelle. Les yeux sont assez profondément enchâssés dans leur orbite ; le regard semble avoir de la droiture et de la décision ; le nez est particulièrement lourd, et le menton n’est pas très fuyant. Parmi les cinq portraits dessinés que possède notre grand dépôt national, nous en recommandons trois surtout. — Le premier, sur lequel on fit : Mon. d’Alençon, frère du roy, estant petit, n’est encore que le portrait d’un enfant. — Le second est le portrait d’un jeune homme. La tête, exécutée aux crayons de couleurs, est de trois quarts à droite ; les cheveux, coupés en brosse, dégagent le front ; la lèvre supérieure est ombragée d’une fine moustache, et la barbe naissante commence à encadrer les joues. Ce dessin est fort beau. — Le troisième également. Il montre le duc d’Alençon, quelques années plus tard, coiffé d’un toquet, et habillé d’un pourpoint brodé sur lequel pend une chaîne de cou garnie de perles et de pierres précieuses. L’ensemble du visage n’a rien de déplaisant, au contraire. La physionomie a quelque chose d’ouvert, qui lait croire à un cœur brave. Ce n’est là qu’un mirage. Ambitieux sans caractère et conspirateur sans énergie, trahissant ses amis après avoir trahi son frère, se portant avec indécision vers les protestans et revenant avec mollesse aux catholiques, capable de toutes les