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pardon, détestons la Saint-Barthélémy comme un crime exécrable ; mais n’enlevons pas à ceux qui ont commis ce crime leur recours en grâce devant l’histoire.

Charles IX porta les stigmates de ces sanglantes journées. Depuis lors, dit Brantôme, disparut « ce roy doux, bénin et gracieux qu’on avoit veu ci-devant. » Bien que la douceur, la bénignité et la grâce ne soient pas les qualités saillantes des portraits de Charles IX exécutés avant la Saint-Barthélémy, il est certain qu’après cet événement le visage du roi se revêtit d’une sévérité qu’on ne lui avait pas vue jusque-là. Charles IX, dans les deux dernières années de sa vie, est tout différent de ce qu’il était dans les peintures de Janet. Un grand changement se fit en lui. « N’ay-je pas bien joué mon jeu ? » dit-il après la Saint-Barthélémy. « N’ay-je pas bien sceu dissimuler ? N’ay-je pas bien appris la leçon et le latin de mon ayeul le roy Louis XIe ? » Ce masque de dissimulation qu’il se vantait d’avoir si bien porté, il le rejeta loin de lui, sa vengeance accomplie. C’est ce que montrent, au Cabinet des estampes, deux intéressans portraits aux crayons de couleurs exécutés dans les dernières années de la vie du roi, entre la fin de 1572 et le commencement de 1574. Charles IX a de vingt-deux à vingt-trois ans. Sans avoir pris de l’embonpoint, il a moins de délicatesse que par le passé. Sa barbe est plus fournie, plus dure. Sa tête, coiffée d’une haute toque empanachée et garnie de pierreries, est sombre d’expression, avec quelque chose de résolu que nous n’avions pas vu jusqu’ici. Ses yeux, fatigués et battus, sont menaçans, mais avec franchise. Sa bouche n’a plus rien de forcé dans son expression chagrine. Le sentiment qui domine en lui est le mépris, presque le dégoût de la vie, dont il n’avait d’ailleurs, on le sait, jamais fait grand cas[1]. Une irritation maladive se trahit dans tous ses traits. On y voit comme le reflet d’une flamme qui brûle avec trop d’intensité pour durer longtemps encore. La mort seule, en effet, rendra le calme à cette physionomie… Elle ne tarda pas à venir. Charles IX se mourait depuis la Saint-Barthélémy. Il rendit l’âme à l’âge de vingt-quatre ans, au château de Vincennes, à trois heures de l’après-midi, le 30 mai 1574, jour de la Pentecôte, au moment où il rêvait de se mettre à la tête de son armée pour recouquérir son royaume. Il mourut en brave, regardant la mort en face et l’accueillant comme une délivrance. Dans ce « maistre jour, » dans ce « jour juge de tous les autres[2], » Charles IX fut véritablement un homme. Il ne songea pas à lui et ne pensa qu’à la France,

  1. Très jeune encore, alors que, pour le ménager, on l’empêchait d’aller se battre, il disait que sa vie « n’estoit point de si grand’ conséquence qu’elle deust estre si précieusement gardée dans un coffre comme les bagues de la couronne. »
  2. Montaigne, Essais, liv. Ier, chap. XIX.