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de ce premier mirage. Une éducation forte et austère avait préparé cette princesse à ses devoirs de reine. Maximilien, retenu pour des raisons politiques dans l’orbite de l’orthodoxie romaine, mais très porté par tempérament vers le protestantisme, avait fait de sa fille une femme religieuse au sens le plus élevé. En se séparant d’elle, il lui avait dit, avec le pressentiment de l’avenir : « Ma fille, vous allez reyne en un royaume le plus beau, le plus puissant et le plus grand qui soit au monde, et d’autant vous tiens-je très heureuse ; mais plus heureuse seriez-vous si vous le trouviez entier en son estât, et aussi fleurissant qu’il a esté autrefois ; mais vous le trouverez fort dissipé, desmembré, divisé et fany (disloqué), d’autant que si le roy vostre mary en tient une bonne part, les princes et seigneurs de la relligion en détiennent de leur costé l’autre part. — Et ainsi qu’il lui dist, ainsi le trouva-t-elle. » Dans ce pauvre royaume où elle arriva pour les catastrophes suprêmes, la jeune Elisabeth d’Autriche, à force de bonté, sut gagner tous les cœurs, le cœur du roi le premier… Le portrait de François Clouet rend palpable, pour ainsi dire, ce qu’il y avait de rare dans cette princesse, « laquelle nous pouvons dire partout avoir esté l’une des meilleures, des plus douces, des plus sages et des plus vertueuses reynes qui régnast despuis le règne de tous les roys et reynes qui ayent jamais régné. »

Le portrait d’Elisabeth d’Autriche est en buste, de trois quarts à gauche, très richement paré, les deux mains ramenées l’une sur l’autre, et moins grand que nature. À cette taille moyenne, nous l’avons vu déjà pour le portrait de Charles IX au musée d’ Ambras, le pinceau de Janet garde toutes ses délicatesses et n’a pas le temps de se refroidir ; il est rigoureux sans sécheresse, suave sans mièvrerie, minutieux sans puérilité. La tête est très attachante par sa physionomie, plutôt charmante que belle, exempte de recherche et de coquetterie, extrêmement jeune, avec un accent de bonté naturelle qui inspire la confiance et commande le respect. Les cheveux blonds sont crêpés et relevés au-dessus des tempes en deux petits ailerons qui finissent en pointe au milieu du front ; un bandeau de pierreries est placé transversalement dans cette coiffure, tandis que des rangs de perles sont tressés dans les nattes qui s’enroulent au sommet de la tête. Le front, très découvert, est élevé et bien développé en largeur. Les yeux sont tournés à droite, en sens inverse du mouvement de la tête : sans être grands, ils sont d’un joli dessin, franchement ouverts, limpides et honnêtes. Le nez est moyen. La bouche est petite, ingénue, aimable, d’un sentiment exquis, en parfait accord d’expression avec les yeux. Elle ne parle pas français, ou du moins ne le parle