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livre enfin cette victime, qui chante au penchant de sa tombe. Jamais Faust ne s’est plus avidement enivré des promesses de l’avenir. Une radieuse lumière éclaire les perspectives intimes de ses rêves. Son chant plane au-dessus de la terre, sur les hauteurs où l’emporte une hallucination sublime. L’orchestre tout entier s’enfle et se soulève en un crescendo terrible. Haletant, éperdu d’enthousiasme, Faust touche « au moment ineffable, » mais la mort l’abat en plein triomphe : il roule au fond de l’abîme. Chute retentissante comme celle de la fondre. Il tombe comme ont dû tomber les Titans et les anges, et le fracas de sa ruine éveille de formidables échos. Ils se taisent peu à peu, et le silence se fait sur cette fosse. Es ist vollbracht Tout est fini. Tout est consommé, oserait-on dire, car celui qui vient de mourir était presque un dieu.

Chacun peut admirer, dans le Faust de M. Ch. Gounod, avec quel recueillement la foule s’agenouille autour du cadavre de Valentin. Nous retrouvons ici le même effet, mais beaucoup plus puissant. Faust est donc mort ! Et après quelle vie ! Après tant d’agitation, tant de bruit, quel silence et quel Repos ! Méphistophélès jette un donner regard de mépris sur le sépulcre où l’homme vient enfin de s’engloutir avec son désir inassouvi. Quelques mesures de chœur sont d’une impassibilité terrible, et des accords de cuivres, très doux, très soutenus, prolongent de lugubres harmonies.

Schumann a suivi Faust au-delà de la tombe. Il a voulu, comme Goethe, dénouer entièrement le drame de sa destinée et remettre son âme entre les mains de Dieu. Toute la dernière partie de l’œuvre se passe en plein ciel, ou plutôt dans ce paysage idéal où Goethe, toujours épris de la nature, a placé ses pieux anachorètes et les légions de ses anges. Un chœur d’un contour délicat et d’une fraîcheur exquise chante la quiétude de ces mystérieuses retraites. La mort a tout apaisé. La lutte douloureuse est finie. Au milieu des rochers, dans les forêts, de saints vieillards vivent en prière, partageant avec des animaux familiers l’abri de leurs grottes hospitalières. Le début de cette scène est patriarcal. Il rappelle les légendes de saint François d’Assise et les fresques naïves des peintres ses contemporains. Le poète et le musicien ont compris comme ces maîtres primitifs le recueillement des solitudes de Dieu.

En dépit des obscurités et des longueurs, malgré l’atmosphère un peu vague où flottent les docteurs et les saints, l’épilogue du Faust de Goethe reste dans son ensemble une conception admirable, et la musique de Schumann égale les splendeurs mystiques de la poésie. Le beau chant du Pater extaticus, avec l’accompagnement passionné des violoncelles, a la tendresse brûlante d’une page de sainte Thérèse. Il est devenu banal de parler ici de Dante et de son Paradis. Le rapprochement a été fait trop souvent, mais il