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une immense majorité décidée pour un abandon, plus ou moins déguisé, du Tonkin. Les uns se sont prononcés lestement pour l’évacuation sans phrases, les autres se contentent de l’évacuation progressive ; ceux-ci ont découvert un heureux euphémisme, ils réclament la liquidation des affaires coloniales, ceux-là demandent des renseignemens avant de se décider pour quelque autre combinaison aussi ingénieuse. Le ministère, il faut lui rendre cette justice, s’est fait un devoir de maintenir et même d’accentuer son opinion en déclinant d’avance la responsabilité de l’abandon du Tonkin : de sorte que toutes les politiques sont présence. Voilà la question posée, et il ne s’agit de rien moins que de savoir si la France continuera à garder les possessions qu’elle a conquises dans l’Indo-Chine ou si notre drapeau se retirera tranquillement de ces rivages arrosés du sang de nos soldats.

C’est déjà assez étrange, on en conviendra, que des affaires aussi graves, aussi délicates puissent être traitées avec cette légèreté, que des politiques sans expérience, envoyés dans une commission, se croient le droit de décider des plus sérieux intérêts diplomatiques et militaires sans s’inquiéter des conséquences, sans songer aux difficultés de toute sorte qu’ils peuvent créer ; mais la vraie question n’est pas encore là, elle est dans le fond des choses. Sans doute, s’il y avait à discuter aujourd’hui sur l’utilité de la campagne du Tonkin, on pourrait s’arrêter devant ce perpétuel inconnu des expéditions lointaines. On pourrait signaler le danger de ces entreprises qui deviennent quelquefois une chaîne pour un pays, qui sont souvent plus coûteuses que profitables. Assurément, au cours même de cette campagne, telle qu’elle a été conduite, il y a eu bien des fautes commises à tous les instans. Si, au début, on avait envoyé quelques milliers d’hommes, on aurait probablement évité ou détourné des complications auxquelles on a laissé le temps de s’aggraver. Au lieu de mettre quelque prudence même dans une entreprise téméraire et médiocrement conçue, on s’est livré dans l’exécution aux incidens ; on a couru les aventures, engageant la France plus qu’on ne l’avouait, troublant sans cesse nos chefs militaires par des ordres décousus, poussant nos soldats à l’action sans moyens suffisans faute d’oser demander des crédits au parlement, allant au-devant d’une guerre avec la Chine qu’on n’avait pas prévue et qu’on a dissimulée jusqu’à la dernière heure, compliquant tout sans réflexion. C’est une histoire malheureusement assez connue, écrite dans toutes les polémiques, dans tous les débats parlementaires qui n’ont été qu’une série d’avertissemens inutiles. S’il ne s’agissait que le recomposer cette histoire des fautes qui se sont succédé depuis le commencement jusqu’à la fin, démontrer une fois de plus ce qui aurait pu être évité et ce qui aurait dû être fait, ce serait bien facile ; mais ce ne serait plus qu’un procès rétrospectif qui ne conduirait à rien, qui ne serait qu’un tissu de récriminations stériles. En réalité,