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turquoises, de saphirs, d’émeraudes, de topazes, étalée sur un coussin de moire foncée. Enfin, fort au loin, quelques lies, aux contours tourmentés, semblables à des flocons de nuages qui cherchent vainement à se détacher de l’horizon de la mer.


Nous nous promenons sur la plage. Des araignées colossales attirent notre attention. Leurs fils semblent faire ployer les branches des arbrisseaux. Ces animaux sont considérés comme bienfaisans et personne ne songe à les déranger. On a, au contraire, en horreur, mais on tâche vainement d’extirper la tendre sensitive qui a été importée d’Europe, on ne sait ni quand, ni par qui. Cette plante détruit l’herbe, au grand détriment du bétail.

Plusieurs petites excursions ont varié notre séjour à Levuka. Quant à des voyages, il faut y renoncer si on ne se résigne à marcher à pied dans les sentiers étroits envahis par la végétation, qui serpentent en maints endroits entre des quartiers de rocher, souvent par-dessus des blocs de granit glissans, ce qui exclut le cheval. Comme l’intérieur n’est guère peuplé, on est contraint à taire des marches forcées pour trouver un misérable gîte dans quelque hutte de sauvage.

Il y a cependant une délicieuse promenade à faire. Je la recommande à ceux qui viendront après moi. Pour abréger le chemin, faites-vous conduire dans un bateau à quelques milles au nord de la ville. Il ne sera pas facile d’aborder. Votre embarcation aura à glisser par-dessus un dédale de bancs de corail, mais à la fin vous atterrirez et vous débarquerez le mieux que vous pourrez. Pour ma part, assis sur les épaules d’un de nos braves matelots, je défie les brisans et la vase glissante. Descendu à terre, dirigez vos pas à travers des champs bien cultivés, suivis d’une forêt de cocotiers, vers une montagne qui n’est pas loin. Pénétrez dans la gorge étroite que vous y trouverez, elle vous mènera à un endroit des plus poétiques, un petit bassin rempli d’une eau claire comme le cristal, le ruisseau qui la fournit formant cascade ; tout autour des rochers couverts de feuillage, et, par-dessus des milliers de têtes de cocotiers, entre les sinuosités de la vallée que vous avez parcourue, l’horizon de la mer. C’est l’Éden du résident blanc. . Il y trouve un bain d’eau douce, de l’ombre et de la fraîcheur. Seulement le chemin du Paradis, on le sait, est rarement commode. Je n’y serais jamais entré sans le secours de mes jeunes compagnons. Dans ces sentiers indiens, il faut l’habitude de l’indigène ou le pied léger du marin.

En revenant, nous traversâmes un groupe de fort jolies cabanes, ensevelies dans le feuillage. Ces maisonnettes étaient fort propres, ceux qui les habitaient avaient l’air prospère et leurs champs de