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l’empire un endossement nouveau. Il importe que nous recherchions les causes de ce nouvel échec d’un peuple barbare.


I.

On comprendra bien les difficultés de l’expérience qu’avaient à faire les Francs, si l’on compare leur histoire à celle d’autres peuples conquérans : les Doriens, par exemple, dans l’antiquité ; les Anglo-Saxons, les Normands et les Arabes dans les temps modernes. Doriens, Anglo-Saxons et Normands s’établirent en nombre sur un terrain qui n’était pas très étendu, et les peuples auxquels ils se superposèrent n’étaient pas plus civilisés qu’eux-mêmes. Les Doriens ne se confondirent jamais avec les indigènes ; ils gardèrent leur originalité et se donnèrent une discipline rigoureuse afin de la mieux défendre. Les Anglo-Saxons et les Normands demeurèrent assez longtemps à l’état de colonie conquérante avant de se mêler aux vaincus pour former une nation. Au contraire, la domination que fondèrent les Arabes fut très vaste et ils trouvèrent presque partout une civilisation supérieure à la leur ; ils se mêlèrent aux populations par des mariages et se mirent à l’école de leurs sujets, mais ils gardèrent leur langue et leur religion qui contenait leur loi. Ils eurent le bénéfice de la résistance et de la persistance extraordinaire de la race sémitique ; ils ne perdirent point leur caractère propre et demeurèrent des Arabes. Enfin, si étendu que fût leur empire, ils en occupèrent effectivement toutes les parties.

L’empire mérovingien, moins vaste que celui des Arabes, l’était beaucoup plus que les royaumes des Doriens ou des Anglo-Saxons. Moins nombreux que les Arabes, les Francs ne purent être partout présens. Le peuple demeura dans le Nord : mais comme les rois tirent des expéditions répétées dans la Gaule entière, comme ils se partagèrent ce pays, comme ils distribuèrent partout des offices et des terres à leurs fidèles, les principaux du peuple furent détachés de la nation et se perdirent dans la population romaine. Les Francs ne furent donc ni cantonnés en une masse compacte comme les Doriens ou les Anglo-Saxons, ni partout répandus comme les Arabes. Du reste, il y a entre ces peuples et les Francs la grande différence que ceux-ci ne furent pas à proprement parler des conquérans. Clovis a battu Syagrius et le roi des Wisigoths, les fils de Clovis eut battu le roi des Burgondes ; après quoi ils ont pris la place du Romain Syagrius, du Wisigoth Alaric et du Burgonde Sigismond, mais les Romains des pays occupés par ces barbares n’ont pas été conquis. Les Alamans et les Thuringiens ont succombé il est vrai, dans une lutte de peuple contre peuple : mais, ici encore, le roi vainqueur s’est contenté de se substituer aux rois vaincus.