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suprême, unique et pour ainsi dire impersonnelle, mais comme un patrimoine composé de droits, d’honneurs et de propriétés, très propre à être partagé. Les fils de Clovis firent donc quatre parts égales de l’héritage paternel, et comme les partages se renouvelèrent à chaque mort de roi, des régions politiques permanentes se formèrent en Gaule. La Neustrie, la Burgondie et l’Austrasie apparurent les premières. Le pays des Francs saliens était compris dans la Neustrie ; l’Austrasie était le pays les Francs ripuaires ; en Burgondie les Burgondes étaient demeurés après la victoire des francs et la mort de leur dernier roi. Francs de Neustrie, Francs d’Austrasie, Burgondes avaient leur loi particulière ; il y avait donc une raison pour qu’ils se distinguassent les uns des autres. Telle n’était pas la condition de l’aquitaine : les Wisigoths en avaient émigré, les Francs y étaient venus en petit nombre. La population romaine était là, comme partout, incapable de s’organiser. Pliée à l’obéissance, déshabituée de l’énergie, cette masse humaine, jadis fondue dans l’unité impériale, était matière à partager entre barbares. L’Aquitaine fut, en effet, tantôt divisée outre les trois rois du Nord et de l’Est, tantôt attribuée à un seul ou à deux d’entre eux et elle demeura une carrière à des expéditions de brigandages jusqu’au jour où les Wascons, descendant de leurs montagnes, lui donnèrent son peuple barbare et la force de conquérir l’indépendance.

Ces régions devinrent des états qui réclamaient un gouvernement particulier lorsqu'il se trouvait qu'un seul prince régnât sur toute la monarchie. Ainsi Clotaire fut obligé de donner pour roi aux Austrasiens son fils Dagobert, et Dagobert, lorsqu'il eut succédé à Clotaire, fut requis d'envoyer son fils Sigebert, tout enfant qu'il fut, régner en Austrasie. Comme chacun des rois exerçait la souveraineté pleine et entière, l'empire mérovingien n'eut pas l'unité. Il fut divisé en fragmens, et l'on sait qu'entre ces fragmens la guerre était perpétuelle et qu'elle était atroce. Voilà un des effets de la conception germanique de la royauté.

De même qu'ils ne savaient pas s'élever à l'idée abstraite de la royauté, les Mérovingiens ne comprenaient pas la relation de prince à ce sujet, d'état à individu. L'importance de la personne du roi, qui est un trait de l'ancienne constitution germanique, persiste dans la Gaule mérovingienne : elle y est même plus grande, car c'est chose singulière et qu'on n'a pas assez remarquée : le roi germain primitif est bien plutôt un homme public que le roi mérovingien ; la civitas de Tacite est bien plutôt un état que le royaume de Sigebert ou de Chilpéric. Sans doute le roi primitif n'est pas un être de raison ; on le choisit dans la famille privilégiée, parce qu'il est jeune, sain et robuste ; c'est à une personne bien déterminée que