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qu’en l’élevant sans cesse en bien-être et en dignité, on augmente la richesse et la grandeur de la France. »

Or, s’il arrivait par aventure que l’enquête en question n’eût pas pour résultat d’élever en bien-être et en dignité ces déshérités et ces parias, si elle les laissait, comme il serait bien possible, dans la même situation que devant, et si le législateur ne parvenait à leur assurer ni une part plus large dans la répartition des bénéfices, ni une place plus importante dans la grande famille française, ne serait-il pas à craindre qu’ils ne retournassent aux désespoirs violons, et le ministre qui aurait contribué à surexciter chez eux ces illusions ne serait-il pas un peu responsable de ces désespoirs et de ces violences ?

Est-ce à dire cependant que l’association de certains ouvriers pour fabriquer et vendre directement à leur profit les produits de leur travail ou pour entreprendre une tâche déterminée et en toucher la rémunération soit toujours une entreprise chimérique, fatalement vouée à l’insuccès ? En d’autres termes, la coopération considérée non plus comme le dernier terme d’une évolution économique et comme un mode perfectionné d’organisation du travail, mais comme une forme spéciale de société commerciale ou industrielle, est-elle une aventure nécessairement dangereuse que le législateur doit voir avec défaveur et dont les gens avisés font bien de se méfier ? Ceci est une tout autre question dont il faut demander la solution à l’expérience et aux faits. Si l’on se bornait à consulter l’histoire, sa réponse ne serait pas très encourageante. Par deux fois au lendemain de 1848 et pendant les dernières années de l’empire, les sociétés coopératives de production (je ne parle pour le moment que de celles-là) ont tenté de s’établir dans notre pays ; par deux fois, elles ont échoué. Mais comme ce double échec est explicable par certaines circonstances historiques ou par certaines fautes financières dont on trouvera le récit très complet dans l’ouvrage de M. Robert-Valleroux, j’irai droit à cette troisième tentative qui se poursuit depuis quelques années sous nos yeux et dans des conjonctures essentiellement favorables. En effet, ceux qui nourrissent une médiocre confiance dans la coopération ont pu dire et répéter que ce mouvement nouveau était purement factice, que les encouragemens officiels en étaient l’unique cause et que, sans ces encouragemens, le plus grand nombre des sociétés coopératives, fondées dans ces dernières années, n’auraient ni subsisté, ni même pris naissance. On ne peut s’empêcher de reconnaître qu’il y a une grande part de vérité dans cette assertion. Il est hors de doute en effet que la ville de Paris d’abord, M. Floquet étant consul, l’état ensuite, M. Gambetta étant grand-vizir, ont irrégulièrement et en dehors de toute adjudication accordé à des sociétés coopératives des concessions de travaux, en leur faisant des