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sous le régime de la grande ? N’en déplaise à l’illustre économiste, je ne crois donc pas qu’il faille se flatter de voir jamais la coopération régénérer les masses populaires et par elles la société elle-même, ni qu’on doive considérer ce mode ingénieux d’augmenter les bénéfices de quelques ouvriers comme l’évolution économique la plus féconde que le progrès et la science aient jamais opérée.

Tout ce que je viens d’écrire ne s’applique qu’aux sociétés coopératives de production et non point aux sociétés coopératives de consommation. A vrai dire, l’expression même de coopérative ne me paraît pas très juste appliquée à des associations que peuvent former entre eux des gens de toute condition, ouvriers ou bourgeois, et qui ont pour but de leur procurer à bon marché les denrées usuelles achetées par la société au prix du commerce en gros, et revendues pur elle aux sociétaires avec une très légère majoration. Il n’y a pas là, à proprement parler, coopération, c’est-à-dire travail en commun en vue d’une œuvre déterminée, mais simplement entente et association dans une vue d’économie domestique. Ces sociétés ont pris un très grand développement en Angleterre, où les sociétés coopératives de production sont au contraire en nombre très limité A un congrès général des sociétés coopératives qui a été tenu tout récemment à Oldham, ou ne comptait que 38 sociétés de production sur 1,153 sociétés comprenant 680,165 membres qui s’étaient fait représenter ; les 1,115 autres étaient des sociétés de consommation. Et encore dans ce chiffre n’étaient pas compris 1,705 petites sociétés locales rattachées à une grande société dont le siège est à Manchester. Mais les sociétés de consommation anglaises sont formées entre individus de toute condition. C’est ainsi qu’une des plus importantes est celle des employés du gouvernement (Civil Service Supply Association) qui rend de grands services aux fonctionnaires de tout grade, en mettant à leur disposition au prix véritable, exonéré de ce qui constitue le bénéfice de l’intermédiaire, presque toutes les denrées nécessaires à la vie. Pour la marine et pour l’armée, des sociétés analogues ont été récemment créées et avec le même succès. En France, au contraire, le développement des sociétés de consommation a été presque nul, et c’est malheureusement vers la création des sociétés de production que se sont tournés les efforts des ouvriers, toujours hantés par cette malheureuse idée de supprimer le salariat. On peut affirmer cependant que les sociétés de consommation auraient rendu de bien autres services non pas seulement aux ouvriers, mais encore à cette catégorie si intéressante des petits employés qui, avec un salaire annuel souvent inférieur à celui d’un ouvrier, sont obligés de subvenir aux frais d’une existence bien autrement coûteuse. A Paris en particulier, où la multiplicité des