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fréquentes dans la vie des peuples ; elles se reproduisent, à des intervalles presque, égaux et comme la cause principale en paraît être l’impossibilité d’équilibrer la production et la consommation, il y a là encore une cause de misère sinon permanente, du moins périodique, qui sévit avec d’autant plus d’intensité que plus intense est aussi la vie industrielle des peuples.

Ainsi donc à quelque point de vue qu’on se place, soit qu’on envisage la condition individuelle de l’homme, ou qu’on étudie les lois sous l’empire desquelles marche et se développe la civilisation, il est impossible de ne pas arriver à une même conclusion, c’est-à-dire à la permanence et à l’indestructibilité des causes qui engendrent la misère. C’est pourquoi il est parfaitement chimérique de chercher une panacée qui guérisse le mal dans sa racine. Tout ce qu’on peut espérer, c’est de trouver des palliatifs qui l’adoucissent. De ces palliatifs j’ai longuement indiqué quels étaient à mon avis les plus judicieux. Mais il en est un, le plus efficace de tous, auquel il faudra toujours revenir, parce qu’il est toujours et partout applicable, parce qu’il n’y a pas de tentative utile au fond de laquelle on n’en retrouve le principe : ce palliatif, j’oserai presque dire ce remède, c’est la charité.

La charité ! Il faut aujourd’hui un certain courage pour prononcer ce mot. Il n’y a pas encore bien longtemps, tout le monde semblait d’accord pour rendre à la charité un hommage quelque peu banal qui du reste n’engageait à rien ; on voulait bien reconnaître qu’en développant le principe de charité dans les rapports des hommes entre eux, le christianisme avait réalisé un grand progrès dans le monde ; on saluait et on passait. Mais, depuis quelques années. Il n’en va plus ainsi. De nos jours, la charité compte des adversaires déclarés et directs. Il y a d’abord un certain nombre d’économistes qui, de parti-pris et doctrinalement, ne contestent pas seulement l’efficacité de la charité, mais encore qualifient son intervention de dangereuse et de nuisible. « Il est impossible, dit M. Baron, dans son livre sur le Paupérisme que j’ai cité dans une précédente étude, de calculer le mal causé par la charité privée, que les meilleurs esprits n’hésitent pas à reconnaître et à proclamer inopportune quand elle n’est pas funeste. » Et ce n’est pas là l’opinion paradoxale d’un publiciste sans autorité, puisque le livre dont je tire cet axiome a été couronné par une docte réunion d’économistes et d’hommes politiques, rassemblés sous les auspices de M. Pereire. Je pourrais relever, sous la plume d’écrivains qui ont donné des marques réelles de leur intérêt pour la classe ouvrière, ou dans les discours de quelques-uns de nos hommes publics les plus influens, plusieurs condamnations non moins formelles de la charité. Il me répugne de croire que de pareilles assertions soient uniquement dictées à ces écrivains et à