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REVUE MUSICALE

Les Chœurs bohémiens de Moscou. – Théâtre de l’Opéra : le Cid, opéra en 4 actes et 10 tableaux, paroles de MM. d’Ennery, Gallet et Blau, musique de M. J. Massenet.

Rien ne gâte l’intérêt d’un voyage et n’en diminue le profit comme l’ignorance de la langue parlée dans le pays qu’on visite. Si répandu que soit notre idiome, il n’est pas universel. On parle français dans les hôtels, mais non pas dans les champs ni sur les chemins ; et notre langue, qui partout nous assure bon souper et bon gîte, ne nous assure que cela. Elle suffit pour la vie du corps, mais pour elle seule, et c’est trop peu, si le voyageur veut ne pas vivre uniquement de pain. En Russie, par exemple, les gens bien élevés savent le français, mais non pas les autres ? et par les autres, sans nul dédain, j’entends le peuple, les humbles, les petits, qu’il vaut mieux parfois interroger que les grands ; car la masse est plus originale que l’élite, et la rue plus pittoresque que les salons.

Ce silence qui, loin du pays, se fait autour de nous et au dedans de nous, la musique seule le rompt. Qu’elle chante, et soudain nous ne nous sentons plus aussi étrangers ; des voix que nous n’entendions pas nous parlent. La musique seule nous révèle les derniers secrets de la nature ; elle achève les plus beaux paysages et crée entre l’âme humaine et l’âme des choses une mystérieuse intimité.

Qui n’a souhaité, comme l’héroïne du poète, d’entendre, par une belle nuit,

Un rossignol perdu dans l’ombre et dans la mousse,
Ou quelque flûte au loin, car la musique est douce,
Fait l’âme harmonieuse, et, comme un divin chœur,
Éveille mille voix qui chantent dans le cœur.