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apparaît, au deuxième acte, en l’attitude que nous savons, et ne reparaît pas. Son beau-frère, s’il n’était animé de quelques sentimens modérés, — amitié pour feu Cardillac, père de Paula, camaraderie pour Geogeotte, affection pour la jeune fille, à qui la Providence le destine comme un pis-aller ; et, d’autre part, respect de l’honneur familial et des convenances mondaines, — s’il n’était travaillé par ces germes de sentimens. Clavel de Chabreuil serait un pur raisonneur, un confident, un écho ; d’ailleurs, nous avons vu s’il se remue. La petite cousine de Gontran, l’orpheline Aurore, qui, par dépit amoureux, se promet d’entrer au couvent et sera trop heureuse, à la fin, de consoler le héros, cette ingénue calquée sur Balbine Leverdet, de l’Ami des femmes, et pesamment calquée, ne fait que sautiller, avec un enfantillage de convention, à côté de la pièce. Pour le héros lui-même et l’héroïne, on me dispensera d’y revenir : on connaît la longueur de la corde qui les attache… Et voilà que j’ai cité tout le monde, sauf des personnages accessoires, qui peuvent grouiller, mais qui n’agissent pas : la camériste, qui n’est qu’un vieux ressort d’intrigue, un valet assez grossier, mi médecin spirituel, une femme du monde épaissement cynique et sotte. Dix fois plus nombreux seraient les personnages et tous dessinés avec dix fois plus de soin que le plus curieusement traité de ceux-ci, pourtant ils ne seraient pas vivans, agissans, dramatiques : cela leur est défendu. Prenant, après les inventeurs, cette donnée de drame, M. Sardou a voulu, pour être original, l’accommoder de telle manière qu’il n’y eût plus aucun drame : il a presque gagné la gageure.

C’est ce parti-pris qui a produit Georgette : comment regretter qu’il en ait gêné le succès ? Et pourtant c’est lui qu’il faut accuser des hésitations de la faveur publique, bien plus que certaines invraisemblances de détail, matérielles ou morales, bien plus même que certaines longueurs et lourdeurs, qui néanmoins surprennent. Cette netteté d’exécution, ce tour de main, ce coup de langue, pour lesquels nous admirions l’auteur de Fédora, nous comptions les reconnaître dans cette pièce moderne, pour laquelle, après Théodora, M. Sardou avait l’heureuse idée de se rassembler : nous retrouvons ces mérites en plusieurs passages ; ailleurs, ils font défaut. Des vulgarités, ça et là nous déplaisent : quelques-unes sont voulues, comme celle de cette femme du monde qui représente la morale des Philistins ; mais ne pouvait-elle les représenter sous des traits à la fois plus vraisemblables et plus rares ? Quelques-unes paraissent nécessaires : ainsi le récit que fait Gondran des aventures de Georgette devant deux jeunes filles, sa cousine et sa fiancée. Il fallait que Paula connût cette histoire ; mais ne pouvait-elle l’entendre sans qu’elle lui fût adressée ? Ne pouvait-elle la tenir d’une autre bouche, de quelque étourdi, par exemple, pilier de club et d’écurie, plutôt que de ce grave jeune homme, digne fils