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obligations ; il aurait prudemment averti la commission du danger de l’œuvre indiscrète qu’elle entreprenait : il eût surtout détourné ou arrêté au passage un des plus pénibles incidens de cette campagne désordonnée et humiliante poursuivie depuis trois semaines au Palais-Bourbon.

Qu’est-il arrivé en effet ? M. le général Brière de l’Isle, l’ancien commandant en chef du corps expéditionnaire du Tonkin, a été appelé devant la commission et il ne s’est probablement pas rendu à cet appel sans avoir été autorisé par ceux de qui il relève, dont il a reçu les ordres. Il ne s’est pas borné à exprimer son opinion sur nos affaires de l’extrême Orient, sur les avantages ou les inconvéniens de notre conquête, même sur les opérations qui s’exécutent encore et sur les actes de son successeur ; il est allé plus loin, il a tenu à réveiller le souvenir d’un des plus douloureux accidens de guerre, de cette désastreuse retraite de Lang-Son, qui en retentissant en France, a provoqué il y a huit mois la chute d’un cabinet. Il n’a point hésité à mettre directement et rudement en cause devant la commission un de ses subordonnés, l’officier qui eut à prendre le commandement des forces françaises au moment où le général de Négrier fut blessé, M. le colonel Herbinger, et il a même fait peser une assez outrageante accusation sur cet officier. L’ancien chef du corps expéditionnaire du Tonkin ne s’est pas aperçu qu’il soulevait de bien dangereuses questions, qu’il n’était pas là pour rendre compte de ses opérations de guerre, que de plus, selon la juste remarque d’un ancien officier maintenant député, M. de Martimprey, il faisait descendre la responsabilité en ayant l’air de faire d’un de ses subordonnés le bouc émissaire d’une mauvaise aventure. Or cet officier incriminé a été soumis, justement pour ces faits, à un conseil d’enquête et il a été l’objet d’une ordonnance de non-lieu : de sorte que la commission s’est trouvée du premier coup, à l’improviste, en présence des questions les plus épineuses de commandement militaire et, de plus, en face d’un acte judiciaire qu’on paraît traiter comme s’il n’existait pas. Une fois dans cette voie, où s’arrêtera-t-on ? Les divulgations appellent les divulgations. M. le général Brière de l’Isle a parlé, ou fait parler après lui un autre officier, M. le colonel Borgnis-Desbordes, dont un rapport tout confidentiel, qui est un document judiciaire, est également publié. Les indiscrétions s’enchaînent, et quand elles deviennent trop criantes, on finit par s’apercevoir que tout cela n’est peut-être pas sans danger. On s’indigne alors ! On interpelle le gouvernement qui promet une enquête ! On déclare solennellement que si des faits comme la publication du rapport de M. le colonel Borgnis-Desbordes peuvent se produire impunément, il n’y a plus d’administration, il n’y a plus d’armée ! C’est bien possible ; mais s’il en est ainsi, à qui la faute ? Les