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intérêt. Dans tous les cas, on peut dire, dès ce moment, que tout dépond de ce que fera le bataillon de M. Parnell, du prix qu’il mettra à son appui dans les batailles parlementaires, et c’est là, certes, une situation des plus compliquées qui peut rendre le gouvernement sinon impossible, du moins singulièrement difficile pour les conservateurs aussi bien que pour les libéraux.

Que peuvent faire les conservateurs, qui, en définitive, ne sont qu’une minorité ? Ils paraissent jusqu’ici assez disposés à attendre, comme on dit, les événemens, à ne pas quitter le pouvoir, au moins provisoirement jusqu’à l’ouverture de la session, et d’ici là, ils se flattent peut-être de s’assurer une majorité telle quelle avec l’alliance des Irlandais, qui, à la vérité, les ont soutenus contre les libéraux dans les élections, Mais il est bien clair que M. Parnell, qui, avec son bataillon, se sent le maître de la situation, qui tient dans ses mains le sort du ministère tory, ne donnera pas son appui pour rien. M. Gladstone, dans son passage au pouvoir, a prodigué les lois libérales, les concessions à l’Irlande, et il n’a pas moins été abandonné à la première occasion par les Irlandais, qui n’ont point hésité, dans l’intérêt de leur cause, à se faire les alliés momentanés des candidats du torysme. M. Parnell, qui est un habile tacticien et qui vient de le montrer encore une fois, ne continuera certainement aujourd’hui son appui aux conservateurs pour les soutenir au pouvoir qu’à la condition d’obtenir d’eux des concessions nouvelles qui équivaudraient à une sorte de séparation, à une semi-indépendance irlandaise, et ces concessions, les conservateurs ne peuvent les faire sous peine d’irriter profondément l’opinion anglaise : de sorte qu’ils se trouvent dans cette alternative de perdre l’appoint irlandais qui leur est nécessaire s’ils ne vont pas assez loin ou de s’aliéner l’opinion anglaise s’ils vont trop loin. Que peuvent de leur côté espérer les libéraux avec leur majorité relative et insuffisante ? En gardant la supériorité numérique, ils se sentent moralement diminués, affaiblis par leurs divisions, par les scissions que les radicaux ont imprudemment provoquées avec leurs programmes, avec toutes ces questions de socialisme, de séparation de l’église et de l’état ; ils ont perdu des voix. Ils auraient, eux aussi, à compter avec les Irlandais pour suppléer à ce qui leur manque, et après tout ce qu’ils ont fait, que peuvent-ils faire de plus ? Pas plus que les tories, ils ne peuvent dépasser une certaine limite sans soulever l’opinion qui ne leur pardonnerait pas de laisser mettre en doute ce qu’on appelle aujourd’hui en Angleterre l’intégrité de l’empire britannique : de telle façon que, pour le montent, libéraux et conservateurs sont dans le même cas de ne pouvoir ni se suffire à eux-mêmes ni compter sérieusement sur une alliance qu’ils seraient obligés de payer trop cher.

Voilà la question telle qu’elle se dégage de ces dernières élections,