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simplement : j’ai donné ou j’ai prêté les deux fois huit mille livres.» (1782.)

Grimm perdit en quinze mois la compagne de sa vie et le plus cher de ses amis. Mme d’Épinay mourut le 15 avril 1783 et Diderot le 31 juillet 1784. Ces douloureuses séparations sont la cause, sans aucun doute, de l’interruption que présente ici sa correspondance avec Catherine. Le chagrin qu'il ressentit de la mort de Mme d’Épinay fut profond et durable ; il parle de sa cruelle et déplorable situation, des épaisses ténèbres dont il a été environné. Quant à la mort de Diderot, Grimm était à Lyon pour l’exécution d'une commission de l’impératrice, lorsqu'il reçut « ce coup si mortel et si imprévu. »

Pauline, la fille de Mme d’Épinay, était mariée depuis neuf ans lorsqu'elle perdit sa mère. Son fils aîné fut cet Armand de Belsunce qui périt à Caen dans l’une des scènes les plus hideuses de la révolution. Sa fille, l’Emilie des Conversations, fut comme adoptée par Grimm, qui se chargea de son éducation, la fit élever au couvent, lui concilia de bonne heure la protection de Catherine et réussit à la marier convenablement. Emilie épousa, en 1786, à l’âge de dix-huit ans, le comte de Bueil, officier aux gardes françaises. Elle recevait de sa famille 100,000 livres de dot, et de la tsarine, qui l’avait nommée de ses demoiselles d’honneur, un cadeau de douze mille roubles. M. de Bueil était propriétaire de la terre patrimoniale de Varennes, près de Château-Thierry. c’est là que Grimm allait passer de huit à quinze jours, toutes les fois qu'il pouvait échapper pour si longtemps à ses occupations. Il s’était ainsi, pour la seconde fois, créé une famille ; la révolution, nous le verrons, en troublant profondément ces existences, ne fit que resserrer les liens qui les unissaient.


III.

Il est incontestable que, dans la correspondance de Grimm avec l'impératrice, la figure la plus intéressante est celle de Catherine elle-même. Cette femme énigmatique s’y montre dans toute l’originalité de son caractère et toute la puissance de sa nature. Elle s’y peint, non pas tout entière, cela va de soi, mais en buste, comme disait Mme de Staal, et j’ajoute en buste passablement décolleté, en traits accusés avec une verdeur de franchise moitié naïve, moitié cynique.

Catherine prétend n’avoir jamais été fort belle, ce qui laisse deviner qu'elle se reconnaissait pourtant quelques charmes. « Je plaisais, écrit-elle dans ses Mémoires, et en parlant il est vrai de sa jeunesse, et je pense que cela était mon fort. » Un admirable